Voici certainement l'un des meilleurs films français de l'après-guerre, non pas dans le sujet qu'il traite ou dans la technique cinématographique, mais dans la brillance de l'interprétation et la qualité des dialogues qu'il propose.
On pourrait malheureusement taxer ce film de franchouillard. Il est vrai que si l'on regarde bien, c'est tout à fait le genre de films qui peut faire penser à des américains lobotomisés que nous sommes qu'un peuple en casquette avec une baguette de pain sous le bras (c'est d'ailleurs le cas pour Jean Gabin acteur principal sur l'un des plans du film). Mais ce serait bien réducteur. Car au delà du souvenir d'une certaine France, le film est aussi un témoignage d'une France qui, peut-être à la manière de ses héros principaux, se cherche mais surtout se reconstruit durant cette période que les économistes baptiseront plus tard les "30 glorieuses". En témoin vivant d'une époque fertile et heureuse, le scénario nous fait allègrement redécouvrir ce qui fit les grands moments de cette époque : la médiatisation du sport cycliste, la construction des barres HLM pour loger les ouvriers en banlieue parisienne, l'avènement de la télévision, le développement de la civilisation des loisirs, de la publicité et des photos de mode, etc...
Mais Rue des Prairies est aussi une fable sur la notion de cellule familiale : qu'est-ce qu'un père, qu'est-ce qu'un fils ou une fille, comment expliquer le décalage entre ce qu'un père voudrait pour ses gosses et ce que ces derniers ont envie de devenir, bref comment surpasser ce qu'il est commun d'appeler "le fossé des générations" ? Pour illustrer son propos, le réalisateur prend son personnage principal à qui il met entre les pattes un enfant qui n'est pas le sien et que son épouse, morte en couches, lui laissera à son retour de camp de prisonnier : sujet délicat s'il en est, mais que Denys de la Patelière traite avec une vraie sensibilité, sans mièvrerie aucune. Car Rue des Prairies n'est pas un film larmoyant loin de là. Doté d'un certain humour le film est à mon sens une véritable tranche de vie des années 50 à la française à Paris avec ses hauts et ses bas, ses moments de joie et ses coups de gueule ni plus ni moins. Au point peut-être que l'on pourrait dire qu'il ne se passe rien dans ce film. Au point que sur le papier, le résumé du film laisserait penser à un film presque rébarbatif.
Mais ce serait sans compter sans 2 êtres de génie : M. AUDIARD et M. GABIN. Et je pèse mes mots : la qualité des dialogues de Michel Audiard est sans conteste l'une des raisons qui ne peuvent que faire aimer ce film : tantôt drôles et cinglantes, tantôt simples et laconiques, les répliques du film sont à ranger au Panthéon de ce qui s'est fait de mieux à côté des "Tontons" ou du "Cave". Et puis pour interpréter ces dialogues, que dire de l'acteur Gabin : un immense comédien dont le talent est à l'état pur à plusieurs reprises dans le film (scène notamment où, un peu bourré et abandonné par ses gosses, il déclare qu'après tout, ce seront toujours ses mômes...) et où l'on perçoit grandement que le cinéma se rapproche plus de l'art que du simple divertissement.
Un excellent film de divertissement français, servi par un casting remarquable et dialogué avec finesse...que demande le bon peuple...?
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