Nous sommes en 1994 et, étant donné la flopée de productions plus misérables les unes que les autres qui ont suivi le succès accidentel de La Main sur le berceau, c'est avec un légitime effroi que vous vous apprêtez à vous rendre à la projection d'un thriller. Si l'on vous annonce ensuite que celui-ci est l'œuvre d'une jeune cinéaste de Manchester-souvenons-nous de l'état de délabrement ultime dans lequel croupissait le cinéma britannique à l'issue de cette première moitié des 90's, vous êtes alors pris d'un profond haut-le-cœur. Puis enfin, si l'on vous indique que la presse spécialisée s'encroûte unanimement dans la panégyrique à son endroit, vous finissez par choisir d'attendre sa sortie en VHS, voire son passage télé, préférant même aller vous désoler devant une série B avec Jean Reno.
Hélas, lorsque, l'année d'après, vous découvrez le film au cours de l'un de ces solitaires samedi soir qui souillent les draps de l'adolescent, acculé entre Ardimat et le porno soft de TF1, vous vous dites que vous êtes véritablement le dernier des cons pour être passé à coté de ce qui demeure probablement l'une des plus belles réussites de ces dix dernières années.
Petits meurtres entre amis parvient tout d'abord a nous présenter des personnages tout aussi crédibles qu'intéressants par l'intermédiaire de ces trois jeunes-adultes d'Édimbourg et ce, sans jamais tomber dans le crapoteux manichéisme qui est pourtant l'apanage de ce genre de portrait. David, Juliet et Alex ne sont ni des dandys infaillibles, ni des butors déséquilibrés. Leurs relations sont humainement contrastées entre une tension quotidienne et des séances de véritables catharsis cohésives tels les entretiens cruels qu'ils font endurer à leurs potentiels colocataires.
Ensuite, le récit parvient à se muer en histoire criminelle sans dénaturer l'environnement antérieurement instauré. Le réalisme des scènes de torture, le cynisme des flics ou encore les oscillations éthiques des héros, rien ne sombre dans les habituels clichés du genre et, surtout, ne laisse entrevoir un clivage défigurant la première partie du film. Cette stabilité narrative ne rend que plus efficace la mise en scène de l'évolution psychologique des protagonistes.
Car le scénario repose surtout sur la métamorphose du personnage de David, chez qui un mauvais tirage à la courte paille va entraîner l'affirmation, la démence puis la paranoïa (ici bien souvent synonyme de lucidité). Loin des balivernes, si prisées à Hollywood ou dans les écrivaillonnages pour attardés mentaux, qui s'appuient sur ce concept marketing de dédoublement de personnalité, Boyle parvient à exprimer l'évolution comportementale de David en filmant principalement le regard de Christopher Eccleston, lequel se révèle de plus en plus préoccupant sans toutefois s'enliser dans la caricature. Cette performance parallèle d'interprétation et de réalisation relègue, en une heure, les quinze-mille pages de Stephen King au rang d'absorbant pour caves inondées par débordement d'égout.
Enfin, cette tombe peu profonde nous a permis de découvrir un trio d'acteurs remarquables ainsi que l'animal qui a su adapter Trainspotting à l'écran sans se ramasser.
|