C'est sur fond de polémique que Lubitsch présenta Jeux dangereux, aujourd'hui légitimement considéré comme un chef d'œuvre de la comédie satirique. Car peut-on réaliser un vaudeville se déroulant au cours de l'occupation de la Pologne par les troupes du Reich?
Déjà en 1942, la question: "peut-on rire de tout?" déchaînait les passions et, si une réplique cinglante comme: "Il massacrait Shakespeare, comme nous, la Pologne !" fait, de nos jours, figure de parangon de l'humour noir, il faut savoir qu'à l'époque, elle provoqua l'indignation d'une grande partie de la presse et ce, bien que le juge d'instruction Pierre Marcelle ne naquit que dix ans plus tard! Nonobstant cet opprobre désolant, Jeux dangereux prouve à lui seul que l'on peut, sans complaisance, se gausser du régime nazi -Attention, je ne parle pas ici de l'Holocauste et je rappelle pour les plus indigents que la conférence de Wannsee n'eut lieu que le 20 Janvier 1942- tout en condamnant son absurdité, sa brutalité, et ceci sans jamais tomber dans les bourbeux geignements que l'on a coutume d'endurer de nos jours lorsqu'il est question de cette obscure période de l'histoire.
Ainsi, des tentatives de corruption d'enfants par les jouets afin de leur faire dénoncer leurs parents aux répliques inénarrables comme le "Heil moi même!" d'Hitler, la première partie du film, qui met en scène une troupe de théâtre parodiant le régime nazi, est tout simplement hilarante. Puis, c'est aux péripéties vaudevillesques d'un triangle amoureux en pleine tragédie polonaise auquel nous assistons avec bonheur. Scènes de ménage, quiproquos burlesques, galéjades ou rebondissements, chaque séquence est exploitée avec élégance et talent, démontrant une fois de plus la maestria de l'auteur. Enfin, Jeux dangereux demeure également une belle satire de l'Acteur et de son orgueil ainsi qu'une love story intense et feutrée qu'illustre les multiples rôles périlleux que va devoir revêtir ce comédien vieillissant, tant pour sauver des vies humaines que pour reconquérir sa femme.
Réalisée deux ans après Le Dictateur de Chaplin, l'œuvre de Lubitsch se révèle une vitupération de la schlague au moins aussi forte que son aîné et nous permet de contempler une dernière fois la sculpturale Carole Lombard, morte dans un accident d'avion à cinq jours de l'avant-première.
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