John Doherty dit Thunderbolt (Clint Eastwood) et Lightfoot (Jeff Bridges) se rencontrent par hasard et sont les personnages essentiels de ce « road movie » assez particulier. Ce premier film de Michael Cimino - réalisateur de « Voyage au bout de l’enfer », de « La porte du paradis » et de « L’Année du dragon » - qu’il a écrit et réalisé en 1974, est traité de façon originale et se révèle au final très attachant.
D’emblée, il faut bien dire tout le mal que l’on pense d’un titre français stupide qui, de plus, trahit l’esprit du film. Le titre original « Thunderbolt and Lightfoot / Coup de foudre et Pied léger ») a au moins le mérite d’insister sur l’association des deux personnages malgré leurs différences de caractère et sur leur commun destin.
Fondé sur un scénario qui allie fantaisie et humour et construit sur un rythme à la fois nonchalant et alerte, ce film emporte l’adhésion. Reprenant les codes du « road movie », Cimino les adapte et se les réapproprie à sa façon inimitable. La randonnée de ces deux personnages, sympathiques malgré leurs errements, bientôt rejoints de deux autres, à l’inverse plutôt antipathiques, néglige en effet les centres urbains au profit de petites villes et privilégie des paysages souvent variés mais toujours amples et magnifiques : vastes étendues des champs, hautes montagnes en toile de fond, rivière remontée sur un bateau à la présence insolite. Passant d’une voiture à l’autre, soucieux de présence féminine, portés par la joie de vivre de Lightfoot, les deux hommes suivent leur chemin en prenant leur temps, à notre plus grand plaisir car les rebondissements jalonnent leur parcours jusqu’au braquage qui les attend…
D’autre part, Cimino nous propose une galerie de portraits très aboutis, avec des acteurs épatants (Jeff Bridges alors au début de sa carrière fut nommé aux Oscars pour ce rôle et Clint Eastwood connu alors pour ses rôles de cow-boy sauvage ouvre le film sous les traits d’un pasteur en train de prêcher dans une église !). Le duo initial – qui finit par se transformer en quatuor – croise sur son chemin toute une série de personnages insolites dont Cimino a peaufiné l’originalité : qu’il s’agisse des jeunes femmes peu farouches rencontrées au hasard de la route et des envies, et rabattues par Lightfoot pour un Thunderbolt manifestement dépassé par l’évolution des mentalités féminines ; ou du délirant camionneur amateur de lapins et de chasse ; ou encore du couple ahuri de la station-service, de celui de la maison investie qui découvre les ébats de sa fille délurée, de celui visitant l’école, ils nourrissent tous la fantaisie du film. Surtout, on sent chez Cimino une affection particulière pour son duo de personnages : l’homme mûr opposé au jeune homme. Une différence, d’ailleurs, plutôt qu’une opposition car elle lui permet des variations sur le thème de la vieillesse et du « conflit » des générations : alors que Thunderbolt évoque son âge, Lightfoot joue les jeunes chiens fous irrésistibles avec une jubilation contagieuse. Plus intéressant encore, leurs différences vont finir par s’estomper – de la méfiance et de l’indifférence au respect mutuel puis au lien de l’amitié - et Cimino montre l’évolution vers la complémentarité de leurs talents.
Il est temps de préciser que cette randonnée dans l’espace est aussi, à l’évidence, une interrogation sur l’époque. Maintes fois le passé y est évoqué (les héros de la guerre de Corée sont devenus de vulgaires délinquants) et le regard que porte Cimino, par exemple à travers son personnage de Thunderbolt, sur la jeunesse ne laisse aucun doute : l’évolution des mentalités ne se fait pas dans le bons sens de l’amitié ou de la générosité, mais du plus strict intérêt et de l’individualisme. L’Amérique change. On est en 1974…
Sa réalisation multiplie les angles de vue d’un regard caméra soucieux d’originalité : travellings et plans fixes, plongées et contre plongées, gros plans et plans d’ensemble se succèdent sans jamais être gratuits.
Il faut évoquer la fin – sans la déflorer bien sûr - et signaler que le film s’achève sur deux effets de surprise successifs ; et un changement de ton inattendu, profondément émouvant, nous rappelle que la joie la plus intense peut se teinter d'une grande amertume lorsqu'un sentiment d'injustice l'accompagne.
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