Avec « Gangs of New York », Scorsese dresse une immense fresque pleine de bruit et de fureur qui se développe sur près de 2 h. 40 et met en scène le triple destin d'individus, de New York et des Etats-Unis.
Il situe son film dans le New York du milieu du XIX° siècle pendant l’arrivée massive d’immigrants alors même que la guerre civile (guerre de Sécession) réclame toujours plus de soldats, que la Conscription obligatoire se développe donc, et plus précisément aux « Five Points », croisement de cinq rues de la ville où s’affrontent les bandes rivales des « Natifs » (descendants d’Anglais) et les « Dead Rabbits » ou « Lapins morts » (immigrés irlandais).
Le premier combat qu’il nous est rapidement donné de voir annonce le ton du film. D’une invraisemblable violence, la séquence étonne par une mise en scène (face à face solennel, défi provocateur et déchaînement barbare) au montage savant : Scorsese nous plonge, d’abord, dans la sauvagerie d’un corps à corps dont aucun détail sanglant ne nous est caché ; puis, par un mouvement de grue ascensionnel de la caméra, il « extrait » le spectateur de cette mêlée pour lui offrir, en un plan large vu en plongée, un tableau d’ensemble de la mêlée tout à fait étonnant car au cours de ce changement progressif de vision les différences entre les combattants se sont estompées, puis effacées, au point que la vue générale finale du champ de bataille donne l’impression de voir le même individu répété cent fois. Superbe séquence ! C’est par l’image que Scorsese, comme tous les grands réalisateurs, nous « dit » que ces gangs sont en fait les MEMES fils d’une Amérique alors en gestation.
Le propos est transparent à travers la métaphore du croisement des rues (les Five Points) : il s’agit bel et bien de la Naissance d’une Nation, les Etats-Unis, qui se trouve au « croisement » de son Histoire (forte immigration et tentative de Sécession intérieure). Et cette Histoire nous sera montrée à travers l’affrontement symbolique entre deux hommes : Bill le Boucher (Daniel Day-Lewis), chef des Natifs hostile aux immigrants irlandais et Amsterdam (Léonard Di Caprio) pour s’approprier le pouvoir avec l’aide des hommes politiques cyniques, tel Boss Tweed.
Une nation qui naît aussi dans la guerre civile, ce qui nous vaut une autre magistrale séquence où l’on voit dans la même continuité, grâce à un travelling latéral de droite à gauche, les immigrants quitter leur bateau pour être aussitôt enrôlés dans l’armée et partir immédiatement pour le front de la guerre de Sécession !
Une Nation qui naît, enfin, dans la lutte des classes que Scorsese représente, visuellement, dans le traitement particulier des couleurs : ocres, bruns et gris ternes assombrissent les quartiers défavorisés ; couleurs vives et chaudes illuminent les quartiers huppés.
Le propos de Scorsese – suivre l’avènement des Etats-Unis à travers une histoire individuelle de vengeance – montre toute sa cohérence à la fin du film lorsque les deux pôles du récit – l’Histoire et l’Individu – se rejoignent et fusionnent lors d’une ultime séquence remarquable (qui n’est pas sans rappeler la fin de « Les portes du Paradis » de Michael Cimino) au cours de laquelle l’armée réprime l’insurrection des Five Points contre la Conscription obligatoire à coups de canon dévastateurs. Une scène apocalyptique (pillages, lynchages, massacres) où se résout le destin de Bill et d’Amsterdam -autre croisement des destins individuels et de l’Histoire…
Et le film s’achève sur une dernière trouvaille de Scorsese : le futur de la ville de New York (troisième « destin » du film !) est évoqué à travers un étonnant plan fixe de la ville de 1860 qui se transforme insensiblement et transcrit le passage du temps jusqu’à l’image du New York contemporain. Le générique enchaîne alors aussitôt sur le film dont il fait partie puisque la chanson de U 2 (« The hands that built New York »/ « Ces mains qui bâtirent New York ») le prolonge en célébrant la ville. Puis le silence se fait et, sur les derniers noms du générique, s’élèvent les rumeurs modernes de la ville, comme un bruit de fond, lointain mais proche et familier. Qui nous murmurerait que l’histoire de New York se continue…
Il faut, bien sûr, saluer les acteurs de ce grand film et, notamment, Daniel Day-Lewis incroyable de présence et de force. Léonard Di Caprio tient, de façon très probante, un rôle plus en retenue. Quant à Cameron Diaz, elle allie heureusement sensualité, naturel et sensibilité.
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