Ce film sur les rapports entre l’être humain et la société est fascinant, ce qui, en soi, est déjà surprenant tant le pessimisme de Kubrick est entier !
Un premier motif de surprise est « l’art total » du film qui mêle musique classique (Purcell, Beethoven, Rossini, etc.) et chanson (« Singing in the rain ») utilisée à contre-temps ; qui propose des décors insolites et provocants (boa dressé vers une image féminine, braguette en coquille, statues de femmes/fontaines de bar dont on tire le lait, etc.) ; des masques et des costumes (de base-balleur) toujours surprenant. Bref, l’ensemble évoque le théâtre… de la vie, bien sûr, mais présenté de façon distanciée, en toute ironie.
La construction du film est un autre sujet d’étonnement : Alex, voleur, violeur et meurtrier ( I ) est arrêté, condamné, puis rééduqué ( II ). Relâché, il subit alors malheur sur malheur, au point que l’on va lui rendre sa vraie nature : il est guéri ( III ). Cette structure tient de la démonstration ironique : le bourreau transformé en victime redevient ce qu’il était ! Les deux premières parties forment, à l’évidence, l’envers et l’endroit de toute personnalité et la troisième met l’accent sur la liberté indispensable, quoi qu’en pense les tenants d’une société idéale, c’est-à-dire décérébrée ! Le propos est encore plus évident si l’on envisage le film selon l’optique suivante : Alex, au début, représente l’enfant-nature ; puis le traitement qui le transforme, en prison (quel symbole !), correspond à l’éducation que la société impose à tout enfant qui devient alors sociable et « civilisé ». Mais cette « socialisation » provoque sa névrose. Et la libération finale - donc la guérison - signifie la rupture avec la civilisation !
Ce film provocant s’interroge donc ironiquement sur les fondements de toute société, de toute civilisation. Et ce retour symbolique d’Alex au point de départ évoque irrésistiblement l’épilogue de « 2001, Odyssée de l’espace » (cf. analyse dans DVDPC) dans lequel le foetus retourne, lui aussi, vers la planète-mère, la Terre, en une même représentation bouclée sur elle-même ; « Orange mécanique » apparaît bien comme une parabole enfermant en un cercle parfaitement clos notre dérisoire théâtre humain. D’où, peut-être, le sens poético-symbolique du titre : « Orange », puisque la terre est ronde (« La Terre est bleue comme une orange », écrivait le poète Eluard) ; « mécanique », puisque violence, sexualité et émotions sont les ressorts - instinctifs - de la « machine humaine ».
A tous les points de vue, ce film de Kubrick est un très grand film. Indispensable !
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