Tim Burton propose un conte de fée moderne qui renouvelle avec bonheur le thème traditionnel de la Belle et de la Bête. D’abord parce qu’il crée - avec l’aide de Bo Welsh pour les décors et de Stan Winston pour les maquillages et les trucages - un univers d’une beauté, d’une poésie et d’une originalité qui nous «transporte» dans un «ailleurs» fascinant (à la fois féerique et réaliste) et qui enrichit, ensuite, le propos du film : l’éloge de la différence et de la beauté cachée dans leur lutte contre l’intolérance et la superficialité.
Différent, Edward (Johnny Depp) l’est doublement : d’une part, parce que son créateur (Vincent Price) l’a laissé inachevé, des ciseaux en guise de mains ; d’autre part, parce que son âme naïve et pure le rend inadapté au monde dans lequel il va devoir vivre.
Cet ensemble résidentiel de maisons aux couleurs pastel vert, bleu, jaune et rose, gaies et engageantes, qui dessine son futur lieu de vie doit, à l’évidence, être perçu comme le condensé symbolique de toute société.
La première partie du film, qui correspond à l’accueil d’Edward, dépeint un monde assorti aux couleurs avenantes des façades. Edward, sans doute parce qu’il apporte nouveauté et fantaisie, devient la coqueluche de la résidence et est considéré comme le jardinier idéal, comme le coiffeur idéal, comme le toiletteur pour chien idéal.
Mais ces maisons pimpantes peuvent renfermer des sentiments qui le sont moins. Et il suffit qu’Edward se méprenne sur les intentions « possessives » de Joyce, la voisine, pour que ce monde des apparences se lézarde et vole en éclats : les commérages et la nymphomanie, la religion et la méchanceté dessinent alors pour Edward un paysage soudainement inconnu et hostile dont il est exclu. La compassion manifestée lors de l’accueil fait place à une haine implacable, comme si les façades avenantes n’étaient que trompe l’œil et ne représentaient qu’un univers factice et mensonger.
Comment ne pas noter l’inversion subtile du propos : l’apparence mielleuse des résidentes dissimule la noirceur de leurs âmes alors que le physique repoussant d’Edward cache la beauté d’une âme pure. Ceux qui vivent dans le superficiel, à la surface des sentiments triomphent quand celui qui aime sincèrement doit s’exiler. La langue des femmes est finalement plus dangereuse que les ciseaux d’Edward !
La morale du conte est claire : Peg, sa famille et Edward sont inadaptés à cet univers de personnages réduits à des obsessions égoïstes qui leur tiennent lieu de raisons de vivre et d’aimer. Edward, dans son refuge, s’affaire désormais à ce pour quoi il est fait : créer la neige et sculpter la glace. Bref, vivre dans la blancheur d’une pureté assortie à son âme, loin des couleurs trompeuses d’un univers humain factice, mensonger, indifférent et cruel.
Une fois de plus, la différence suscite le rejet et l’intolérance. Une fois de plus, la beauté cachée est ignorée. Une fois de plus, l’artiste – cet incompris – est rejeté par la société de son temps. Mais la fin du film peut être perçue comme la véritable consécration d’un Edward devenu une légende éternelle qui survivra à ceux qui l’ont exclu.
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