Voilà un premier film d’une jeune réalisatrice (26 ans), Laetitia Colombani, qui force le respect par les qualités qu’il révèle : scénario rigoureux, surprenant, efficace et réalisation particulièrement inspirée, maîtrisée et soignée.
Le plus difficile est d’en proposer une analyse précise sans pour autant déflorer l’intérêt d’un film dont le point de départ est des plus simples : Angélique (Audey Tautou), la bien nommée – visage et sourire d’ange – aime Loïc (S. Le Bihan) qui l’aime. Mais est-ce bien aussi simple ?... S’agit-il d’une comédie sentimentale ou d’un thriller psychologique ?
Les influences du film sont nombreuses et pour en donner un aperçu, il suffit de savoir que les films préférés de L. Colombani sont « Rosemary’s baby » et « Répulsion » de Polansky, « Edward aux mains d’argent » de Tim Burton, « la Leçon de piano » de Jane Campion et « Psychose » (cf. critique dans DVDPC) de Hitchcock. Bref, que du beau monde !
Au nombre des réussites de la réalisatrice, on placera, d’abord, le choix d’un titre qui est en parfaite adéquation à la fois avec la construction du récit, avec les sentiments des personnages et avec la signification du film. La première partie pourrait, en effet, s’intituler « A la folie » alors que la seconde se nommerait « pas du tout ». D’autre part, Angélique et Loïc se définissent, chacun, par l’une ou l’autre expression employée par le titre. Par ailleurs, le sens du film naît et se nourrit du contraste des deux éléments « A la folie » vs « pas du tout ». Plus original encore, ces deux expressions reflètent deux points de vue sur les mêmes événements et le passage de l’un à l’autre bouleverse le (double) jeu des apparences et la vérité établie. Je n’ai pas en mémoire de titre de film aussi judicieusement choisi !
On notera ensuite le remarquable démarquage de « Psychose » dont l’ordre du récit (1° : Histoire de Marion – 2° : Histoire de Norman – Dénouement inattendu) est repris par « A la folie… pas du tout » (1° : Histoire de Angélique – 2° : Histoire de Loïc – Dénouement inattendu). Deux points communs apparaissent donc entre les deux films : histoire « double » d’une femme et d’un homme et même dénouement inattendu bâti sur une faille psychologique ; mais aussi deux différences : inversion des personnages, par rapport au film d’Hitchcock, dans un dénouement qui ferme le film chez l’un tandis qu’il l’ouvre sur une nouvelle histoire chez l’autre.
Mais autant Hitchcok oppose le noir et le blanc, autant la réalisatrice de « A la folie … pas du tout » joue sur les couleurs. A l’entame du film, des couleurs trop saturées, voire criardes et des contrastes excessifs aux blancs brûlés imposent un excès qui crée un malaise et sert de contrepoint prémonitoire aux bons sentiments et aux sourires béats échangés entre les personnages. C’est dire si la réalisatrice utilise TOUS les éléments de son film pour illustrer – visuellement - son propos ; et ces images trop violemment contrastées du début DISENT le contraire de ce qu’elles sont censées montrer. Autrement dit, la perception du film qui est celle du spectateur est, selon la technique hitchcockienne, l’objet même d’une manipulation de la part d’une réalisatrice qui, par ailleurs, déroule le tapis rouge du récit d’une manipulation concernant le récit cette fois : on ne peut que s’incliner devant pareille réussite de ce « jeu » avec le spectateur !
Chaque plan, parfaitement étudié et composé avec le plus grand soin, serait d’ailleurs à commenter et l’on observerait un procédé récurrent : installer au cœur même du décor le plus familier, dans les situations les plus intimes, voire les plus naturelles ou simples, l’ambiguïté et le double sens, comme si tout, dans le film, avait son revers et pouvait s’interpréter autrement ; comme si les morceaux du puzzle pouvaient être ordonnés de deux façons et dessiner ainsi une nouvelle figure, différente de la précédente. On proposera, à titre de premier exemple, la sortie des toilettes des deux personnages qui est comprise comme un « signe » de leur complicité, à moins qu’il ne s’agisse que d’une simple « coïncidence ». On peut aussi interpréter les images de la plante rare que sa « logeuse » a confiée à Angélique et qu’elle doit donc soigner et protéger. Un mouvement de caméra cadre en gros plan la plante dont les feuilles se fanent puis tombent : façon on ne peut plus cinématographique - ne pas dire, mais montrer - pour insister sur l’étiolement parallèle du personnage, mais aussi sur l’usure du temps qui passe lorsque toute chose paraît désormais inutile.
Il faut saluer, enfin, la suprême habileté du dénouement du film. Alors que la réalisatrice avait donné les clefs de l’intrigue, elle parvient pourtant à nous surprendre une dernière fois, à nous « saisir », par un ultime coup de théâtre que ménage une séquence remarquable, digne des plus grands maîtres ! (Mais que l'on ne peut malheureusement pas analyser en détail pour ne pas en déflorer l'intérêt !)
Si l’on tient à trouver objectivement un point faible dans le film, ce serait le personnage de l’ami d’Angélique dont le rôle n’est pas crédible dans la mesure où il manque par trop de lucidité – même si cette cécité est censée montrer le pouvoir du « charme » (au sens étymologique de « envoûtement ») d’Angélique. Quant à Samuel Le Bihan, il n’est vraiment pas convaincant…
Véritablement, on souhaite que tout le talent évident de ce premier film soit mis au service d’un univers personnel pour que la prochaine réalisation confirme tout le bien que l’on pense de cette étonnante première œuvre.
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