Avec ce "Vampyros lesbos" au titre largement évocateur, le réalisateur espagnol Jess Franco va nous livrer une œuvre flirtant continuellement avec l'onirisme et le surréalisme pour détourner la classique histoire de Dracula, ici revue sous un jour forcément érotique mais raffiné en bénéficiant d'un esthétisme appliqué largement envoûtant, sentiment encore renforcé par l'ambiance musicale teintée de jazz particulièrement étrange.
Le script va laisser une avocate se rendant sur l'île d'une comtesse afin de régler une succession être vampirisée par la maîtresse des lieux.
Après un générique déjà étrange en avançant notamment cette demoiselle tendant les bras vers la caméra, le métrage va tout de suite se lancer dans un numéro de charme particulièrement réussi qui laissera la demoiselle déjà aperçue se livrer à un spectacle sensuel empruntant aussi bien au gothique qu'au strip-tease en compagnie d'une femme automate qu'elle va enlacer, pour ce que nous découvrirons être une attraction dans un cabaret comptant parmi ses spectateurs un couple, Omar et Linda, cette dernière étant manifestement troublée par cette exhibition saphique.
Cette première séquence sera formellement fascinante pour un ballet certes érotique mais jamais salace et encore moins vulgaire, Jess Franco ne poussant jamais les choses trop loin et ne se livrant pas à ses habituels gros plans voyeurs sur l'intimité des jeunes femmes.
Nous allons ensuite retrouver Linda, d'abord pour assister à son rêve sensuel récurrent qui la poussera à consulter un psychanalyste qui ne trouvera rien de mieux à lui conseiller que de trouver un meilleur amant, ce rêve/cauchemar érotique étant uniquement pour lui que le reflet de sa frustration sexuelle, puis à son travail d'avocate dans un cabinet où elle va se voir confier une mission importante liée à l'héritage touché par la comtesse Carody, qui habite sur une île isolée.
Linda va donc se rendre au port mais faute de bateau pouvant l'emmener, elle va devoir passer la nuit à l'auberge du coin, où l'homme à tout faire va la mettre en garde contre la comtesse et l'île réputée maudite, cet homme se révélant être un pervers s'amusant à tuer des femmes dans la cave de l'auberge. Jess Franco se sera réservé le rôle de ce sadique pour un intermède succulent et bien déviant.
La rencontre entre Linda et la comtesse Nadine Carody prendra vite une tournure décontractée, les deux jeunes femmes semblant sympathiser, au point d'aller se baigner et se dorer au soleil nues toutes les deux, et le soir venu, après que la comtesse ait évoqué son légataire, un comte hongrois nommé Dracula, Linda va être droguée pour finalement voir la comtesse se livrer avec elle à une étreinte saphique qui finira par la traditionnelle morsure au cou.
Linda se réveillera dans la clinique privée du docteur Seward, un médecin étudiant le vampirisme et ayant parmi ses patients une certaine Agra, une demoiselle qui se dit visitée par une créature de la nuit qui la possède régulièrement. Mais la comtesse n'en restera pas là et cherchera bien entendu à revoir Linda pour achever de la vampiriser afin qu'elle franchisse le seuil et devienne à son tour une entité vampirique.
Si l'intrigue pourra facilement évoquer la trame classique du "Dracula" de Bram Stoker, le résultat à l'écran s'éloignera de la mythologie habituelle des vampires puisqu'ici la comtesse ne craindra par exemple en aucun cas la lumière du jour pour avoir une vie "normale", secondée par un serviteur musclé nommé Morpho, et surtout, loin de l'ambiance macabre et sinistre traditionnelle, le métrage évoluera dans une ambiance moderne très "seventie's" (les décors) et la charmante comtesse Carody offrira au métrage une bien ravissante vampire n'hésitant pas à dévoiler ses charmes à plusieurs reprises et notamment au cours de deux numéros ensorcelants dans ce cabaret.
Le métrage aura également le privilège de pouvoir compter sur un script assez cohérent et suivi, loin de certains délires éthérés de Jess Franco, pour toujours rester plus ou moins linéaire et en tout cas suivre un cheminement logique et calculé, même si ce retour dans l'antre de Memmet, ce sadique qui aura l'occasion de jouer quelque peu avec Linda (pour une seconde séquence mettant en scène un Jess Franco croustillant mais également révélateur d'un trauma surprenant et bien coordonné avec l'intrigue), pourra paraître quelque peu gratuit et opportun. Dans le même ordre d'idée, on pourra manifestement trouver l'aspect du film lié à la quête du docteur Seward quelque peu rébarbatif en étant surtout fondé sur des phases de dialogues assez plates mais rehaussées par la présence de plusieurs visites rendues à cette Agra bien dérangée mais pour autant elle aussi plutôt sensuelle.
L'érotisme sera évidemment bien présent, justifiant ainsi pleinement le titre, mais pour ici se contenter de suivre ces numéros inoubliables de la comtesse et pour avancer quelques étreintes saphiques entre Linda et la comtesse, laissant par ailleurs ces deux personnages centraux évoluer souvent en petite tenue, mais Jess Franco semblera surtout vouloir exacerber la sensualité émanant de chacune des scènes troublantes du film, sans jamais chercher à forcer le ton en ne devenant jamais lubrique ou impudique, la beauté ésotérique de celle qui fût la première muse du réalisateur, Soledad Miranda, se suffisant largement à elle-même.
Et justement, l'interprétation est ici convaincante, portée donc par soledad Miranda qui illuminera littéralement le métrage de sa présence troublante à chacune de ses apparitions, rendant pour le coup Ewa Strömberg presque terne et anodine, tandis que Jess Franco semblera s'être bien amusé à jouer ce second rôle piquant.
La mise en scène du réalisateur est ici largement inspirée pour nous gratifier de plans aux cadrages remarquables tout en utilisant à merveille des tons de couleur pour des éclairages rougeâtres frappants, mais on pourra quand même rester perplexe devant certains plans avançant des insectes (même si on pourra y voir un aspect référentiel évident lorsque ce sera ce scorpion récurrent qui envahira l'écran) ou même un cerf-volant, avec également quelques passages "touristiques" dans la ville d'Istanbul où se déroule l'intrigue.
Donc, ce "Vampyros lesbos" pourra aisément être considéré comme une œuvre formellement très réussie dans l'abondante filmographie de Jess Franco, par son esthétisme et sa mise en scène remarquable, sans oublier bien entendu son aspect sensuel et troublant se manifestant dans une ambiance envoûtante.
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