Soyons clair : Le narcisse noir du duo Powell-Pressburger est une petite merveille, un diamant brut qui fait mentir Truffaut qui disait que "le cinéma anglais n'existe pas". Les réalisateurs, à qui l'on devaient déjà l'inestimable Colonel Blimp récidivent ici dans grand poème sensuel et coloré, histoire d'un couvent qui vient s'installer au sommet de l'Himalaya, dans ce qui était auparavant... un bordel! Les us et coutumes de cette contrée leur sont inconnues, et on sent bien vite que les nonnes, malgré toute la volonté du monde, ne sont pas à leur place. Pour nous faire rêver à leurs aventures, le chef op' Jack Cardiff fait encore des merveilles, ciselant ses plans avec des couleurs chatoyantes, saturées et très composées. On est complètement à l'intérieur de cette contrée si exotique grâce à des matte painting d'exception : rien n'a été tourné dans l'Himalaya, mais bien en Angleterre et l'on n'y voit que du feu. Dès lors, c'est la foi et la volonté des sœurs qui sont durement mis à l'épreuve par les conditions de vie et les mœurs locale. Elles recueille un prince local pour faire son éducation, prince qui porte le parfum Narcisse Noir, qui donne son titre au film et va participer à la désagrégation de la communauté : alors qu'une sœur qui est chargée du potager doit planter des légumes, elle ne plante plus que des fleurs. une autre renoncera à ces vœux, étant tombée amoureuse... Tout se désagrège dans une sorte de moiteur érotique. Les corps sont très importants : Powell voulait vraiment que l'on puisse distinguer les textures de peau des nonnes, même si partiellement découverte. La jeune sœur intendante, Clodagh, sera bien en peine pour motiver ses troupes et organiser un projet qui, dès le départ, semble impossible. La lutte de deux conceptions de l'existence, l'une plutôt austère et ascète, l'autre épicurienne et désorganisée, fait rage. un personnage sait rester à l'écart de cette folie, c'est le vieux sage sur la montagne. Il était là avant les sœurs et restera sûrement bien après leur départ.
Deborah Kerr est incroyable dans le film, comme sublimée par l'amour que lui portait Michael Powell (ils ont été amants), porté par sa volonté pure mais mise ç mal par les paysages, le climat et la population locale. Cette dernière n'est portant pas si terrible, mais leur façon de penser est tellement différente (ordre contre laisser faire) que cela ne rentre pas dans les "cases" prévues... Le final, complètement extravagant et extrême, allie la puissance de l'image et la force thématique : c'est à pleurer.
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