Réalisé en 1975 par le grand cinéaste italien Michelangelo Antonioni, après son fascinant Zabriskie point tourné aux Etats-Unis, Profession reporter est une intense expérience cinématographique.
Magistralement interprété par le grand acteur américain Jack Nicholson et la jeune actrice française Maria Schneider (qui a aussi joué dans le magnifique Le dernier tango à Paris de Bertolucci), Profession reporter est basé sur une trame de départ très troublante : un reporter nommé Locke (Jack Nicholson) trouve un homme mort, un trafiquant d’armes apparemment, qui lui ressemble et décide d’endosser son identité, suivant pas à pas le parcours du défunt, à l’aide du carnet de rendez-vous retrouvé sur le corps.
Sur ce pitch policier, Antonioni transforme ce qui aurait pu n’être qu’un polar en méditation existentielle sur la douleur de vivre et sur la fatalité du destin qui agit même si on veut changer d’identité.
Par des plans d’une beauté à couper le souffle, le cinéaste italien entraîne le spectateur dans la quête d’identité et de vérité de Locke. Le regard de Locke sur les choses (il est au départ reporter, donc habitué à regarder) va changer progressivement, après avoir volé l’identité du marchand d’armes. Notre héros va en effet constater que la vérité est impossible à saisir, car toujours dissimulée dans une sorte de jeu dont le peuple a accepté les règles, comme le démontre la scène où Locke interviewe un président africain : ainsi que le remarque Locke, les règles du jeu médiatique sont les mêmes que celles du jeu politique, à savoir que le président africain ment, que tout le monde sait qu’il ment mais que personne ne veut s’opposer à ce mensonge, qui devient ainsi vérité, mais fausse vérité. Dans un univers dominé par le mensonge, la fuite de Locke est un acte de résistance, et sa nouvelle identité lui permet de voir une autre réalité, cachée sous la fausse vérité des choses.
Sa rencontre avec une jeune fille (interprétée par Maria Schneider) lui redonne un instant espoir, car cette jeune fille a le même regard que lui sur le monde, bien qu’elle soit plus active que lui et surtout reconnaît son impuissance. Antonioni ne cesse de confronter le point de vue de Locke, le point de vue de la jeune fille et son propre point de vue de cinéaste, tout en impliquant aussi celui du spectateur, ce qui crée un fascinant effet de miroir qui permet de donner peut-être une nouvelle perception du monde qui nous entoure, dont le mensonge a été éradiqué, une perception plus juste car composée de différents points de vue croisés. Le génial cinéaste italien saisit dans un grand élan lyrique la beauté de la Nature et permet ainsi à ses protagonistes mais aussi au spectateur de ressentir cette beauté, qu’il oppose aux mensonges du monde.
Mais l’homme est toujours victime de son destin, et la redécouverte de la perception du monde par Locke se finira tragiquement, dans un impressionnant plan-séquence de 7 minutes qui saisit le tout de l’univers dans un ultime mouvement lyrique et apaisé qui épouse le mouvement-même de la vie, bien que la mort, celle de Locke, soit au bout du parcours.
Chef d’œuvre absolu du septième art, Profession reporter est une des œuvres les plus abouties d’Antonioni, qu’il faut absolument découvrir.
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