Connue pour être l'unes des plus longues séries de contes pour enfants avec une dizaine de tomes à son actif, la série des "Désastreuses Aventures des Orphelins Baudelaire" ne pouvait donner lieu qu'à un film lorsque le début des adaptations littéraires au cinéma commençait. Après le phénomène d'Harry Potter et la réussite commerciale/artistique du "Seigneur des Anneaux", tout les studios se sont mis à la recherche d'une nouvelle saga, généralement pour enfants, à transposer au cinéma pour les bambins et toute la famille. Si les plus pathétiques sont les romans d'héroïc-fantasy inutiles comme "Le Monde de Narnia", "Eragon" ou "Le Secret de Terabithia", d'autres se sont vus massacrés malgré leur capital de sympathie initial. Alors que "Stormbreaker" bat les records de déçeption pour une aventure littéraire passionante, c'est bel et bien en 2003 que la surprise naît: l'adaptation des mésaventures des orphelins Baudelaire est un petit bijou vendu comme un sous-Potter alors qu'elle se révèle être une réelle plongée dans un univers fantagasmorique et fascinant.
Le pari n'était pourtant pas gagner, mais le scénariste Robert Gordon a fait de son mieux pour condenser 3 des multiples romans de la série pour soulever l'intérêt des connaisseurs et ne pas perdre le spectateur vierge de toute connaissance au récit de Lenoly Snicket. Scénariste de "Men In Black 2", "Galaxy Quest" et "Addicted to Love", Gordon laisse derrière lui les grosses vannes bien huilées pour s'intéresser au destin funèbre de trois orphelins pas comme les autres: Klaus le génie littéraire qui retient tout ce qu'il lit, Violet la scientifique créant tout un tas d'inventions malines, et la toute petite Sunny, capable de mordre tout et n'importe quoi. Lorsque leurs parents décèdent dans un incendie trop puissant pour être naturel, ils sont alors placés chez un homme dont ils ne connaissent rien, leur plus proche parent: le comte Olaf. Derrière ses airs d'acteur égocentrique et pathétique, Olaf prépare un plan particulièrement sadique: obtenir la garde des enfants Baudelaire pour mettre la main sur leur fortune. C'est le début des mésaventures de nos 3 personnages dans une foule de décors et de protagonistes haut en couleur.
Ce qu'il faut d'abord applaudir dans l'oeuvre, c'est sa force et son rythme effréné qui s'en dégage. Traduire un univers dévellopé au cours de multiples romans s'avère difficile, mais l'équipe du film fait tout pour donner une poésie et une dynamique dans les séquences qui regroupent en faites 3 parties où le Comte Olaf apparaît. Le grand méchant du livre et donc du film est bien évidemment cet obscur personnage difficile à décrire, à mi-chemin entre un diabolique génie du mal et un acteur à la ramasse totalement timbré, entouré d'une troupe encore plus débile que lui. Tentant d'abord d'avoir la garde des enfants, il trouve ensuite une idée parfaite: les mettre sur la voie ferrée pour obtenir leur héritage après leur mort. Contré au dernier moment, Olaf disparait alors du récit, et c'est ce qui fait la force première du film: on ne s'attarde pas sur le recueil des enfants au sein d'un sadique cruel, mais on suit les personnages à travers leurs multiples mésaventures, axées autour de nouveaux parents. Après Olaf, ils se retrouvent d'abord chez un passioné des serpents prêt à partir en voyage avec eux jusqu'à ce que le méchant comte revienne, déguisé en expert des serpents. Il s'agit bien évidemment d'Olaf, qui reviendra aussi dans la troisième partie du récit principal: l'arrivée des enfants chez leur tante Aggripine, une sorte d'hypocrondriaque devenue totalement paranoïaque depuis la mort de son mari (avalé par des sangsues carnivores). Une nouvelle fois, Olaf revient en tant que vieux marin amateur de la langue française. La boucle est bouclée: il tue Aggripine et récupère une dernière fois les enfants pour la dernière partie du film, la conclusion, où ils comprendront comment Olaf a mis feu à leur maison et surtout pourquoi il veut à tout prix se marier avec la jeune Violet (l'argent, comme toujours).
Apparemment répétitif, le film est pourtant une succession intelligente et jamais barbante de nouvelles aventures porté par la voix électrisante de Jude Law en narrateur décomplexé et détaché de son histoire. Le réalisateur Brad Silberling ("La cité des anges", "Casper") arrive à combiner avec intelligence et grande maturité une simple voix-off et une révolution totalement du genre, puisque le pauvre Lenonyu Snicket joue totalement avec le spectateur: il lui demande de quitter la salle s'il compte voir un vrai film pour enfants, fait référence à un film enfantin dont l'introduction est au début (film totalement débile et régressif pour les bambins), remet sa machine à écrire en marche au moment où le suspense est à son comble (un serpeent saute sur Klaus) et se lamente sur le sort inévitable de ses héros, avec une compassion et une ironie hors-pair. Il n'y a pas que dans la voix-off que le réalisateur brille par son changement des règles. Car si le film est en apparence un film pour enfants, il est en revanche un grand film artistique puisque tout a été travaillé pour remplir un cahier des charges exemplaires: rendre hommage au baroque et à Tim Burton. De la partition magique de Thomas Newman (faisant écho à Danny Elfman) au générique final (véritable court-métrage d'animation), on assiste à une déferlante de procédés révolutionnaires qui atteignent le summum avec la photographie glauque et fascinante du grand Emmanuel Lubezki ("Sleepy Hollow", "Les fils de l'homme", "Le Nouveau Monde"), les décors burtonnesques et le montage parfait de l'immense Michael Kahn (monteur de Steven Spielberg). Techniquement, le film ne peut que ravir les cinéphiles venu voir un simple spectacle.
Mais il n'y a pas qu'eux qui soient comblés: étant fan de Jim Carrey, je m'attendais à un grand rôle (comme d'habitude), mais j'ai été encore plus surpris. Il faut savoir que l'acteur, dans ses rôles les plus "simples" pour les films grands publics, arrive à transcender sa prestation avec des maquillages en tout genre ("Le Grinch") et des mimiques cultes. Encore une fois, le Comte Olaf permet non pas une mais trois transformations différentes: un homme détestable qui se prend pour un grand artiste et immite les dinosaures comme personne (séquence instantanément culte), un italien amateur de serpents qui se serrait fait mordre 700 fois par une espèce dangereuse (et pense savoir traire les anguilles), et un marin totalement beauf à la jambe de bois qui trompe la vigilence d'Aggripine. Le plus irrésistible dans l'interprétation de Carrey et les visages cachés d'Olaf, c'est qu'il n'y a que les enfants qui ne sont pas dupes: jamais ils ne tombent dans les pièges de leur opposant, jamais ils ne voient pas la ressemblance entre Olaf et ses personnages, et surtout jamais ils ne lui font confiance. C'est véritablement ce qui donne toute la fraîcheur au conte en général: les enfants sont tous intelligents et se sortent des pires situations grâce à leur entraide. Et surtout grâce au jeu tout en finesse de la magnifique Emily Browning ("Le vaisseau de l'angoisse") et du sympathique Liam Aiken ("Les Sentiers de la perdition"). En un mot: Daniel Radcliffe peut aller se rhabiller, il se fait latter de bout en bout par ces petits génies des sciences et des lettres qui attirent grandement la sympathie et l'adhésion du spectateur. Pour une fois, les jeunes héros ne sont pas des têtes à claque naïves, pas même la toute petite Sunny (dont tout les balbuitements sont retranscrits par des phrases en sous-titres). Les parrains du film ont aussi un certain prestige évident: Meryl Streep est totalement foldingue pour le meilleur du ridicule, Jude Law assure avec classe la narration sans dévoiler son visage, Billy Connolly est parfait en vieux parrain obsédé par ses animaux, sans compter les rôles hilarants de Luis Guzman, Dustin Hoffman (quel caméo !), Jennifer Coolidge, Jamie Harris, Cedric the Entertainer, Jane Adams, Timothy Spall, Jane Lynch, Catherine O'Hara et Deborah Theaker. Un casting survolté, prêt à tout pour s'amuser et donner un réel plaisir au spectateur. En tout cas, on en prend plein la gueule: "Les désastreuses aventures des orphelins Baudelaire" est un sacré bijou qui risque de vous étonner au plus haut point !
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