Mise en garde pour les honorables pères de famille qui songeraient à feindre la partie de pêche entre copains pour mieux sortir leur gaule au lupanar, l’ « autostoppeur » d’Ida Lupino se révèle novateur à deux titres. Il bâtit l’esthétique standard du « road movie » en territoire aride avec son soleil étouffant, ses successions de routes rocailleuses et de highways, ou encore ses veillées au coin du feu avec une Winchester sur la tempe. Mais surtout, il métamorphose l’über-vilain hollywoodien en l’extirpant du fantastique pour le plonger dans le manichéisme le plus total. Car même si les métaphores surnaturelles allaient agrémenter quelques années encore le cinéma anglo-saxon dans un contexte macro-social comme la guerre froide (citons par exemple « Le village des damnés »), l’épouvante de proximité, elle, allait dorénavant puiser dans le réel, du moins dans les faits divers. Arrière Mister Hyde de laboratoire et autres « tontons seringueurs » des montagnes carpatiques ! Le spectateur du Ed Sullivan Show veut désormais de la racaille pouvant l’égorger au drugstore du coin et du repris de justice sachant violer son fils à la sortie de l’école. La figure du psychopathe pervers, sans laquelle Jack Nicholson et Joe Pesci interprèteraient aujourd’hui « En attendant Godot » sans planches ni spectateurs, était née.
Certes, un Emmett Myers qui vous fait jouer à « Guillaume Tell 12mm » sur votre meilleur ami passerait aujourd’hui pour un déséquilibré de deuxième division, et ce malgré sa frimousse d’attardé mental qui n’est pas sans évoquer le célèbre proxénète italien Rocco S. Car en effet, le cinéphile d’aujourd’hui, il en a vu des malades, et pas des petits : des John Doe qui vous lassèrent au plumard, des Jigsaw qui vous font vous scier la jambe et même des Claude Lelouch qui vous passent en boucle du Nicole Croisille. Il n’en demeure pas moins qu’en 1953, ce sadisme s’est révélé aussi traumatisant qu’il fût audacieux et fait du « Voyage de la peur » un classique du thriller d’après-guerre.
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