Georges Franju qui restera dans nos mémoires comme l'un des fondateurs de la Cinémathèque française, signe ici le chef d'oeuvre de sa vie.
Les yeux sans un visage sont une métaphore sur le poids du remords et de la culpabilité : pour "rénover" ce concept, le réalisateur l'aborde sous l'angle novateur à l'époque (le film date de 1960) du film d'horreur, cette horreur, matérialisée par ce chirurgien qui tente vainement de redonner un visage humain à sa fille, défigurée après un accident de voiture dont il fut responsable.
Tout le schéma narratif du film qui tend à prendre le spectateur par la main et à le conduire "dans l'antre de la folie" est parfaitement bien construit : Franju distille ses effets au fur et à mesure en intriguant son spectateur : d'abord le manque d'émotion lorsque le professeur "reconnaît" sa fille à la morgue ; puis cet enterrement dénué d'émotion également; puis cette grande demeure où il habite non loin de sa clinique; ces aboiements de chiens qui peuvent paraître étranges et en constraste total avec la quiétude toute relative de la demeure en question; enfin, cette fille, dont le visage effrayant est caché des yeux du spectateur par le truchement d'une caméra toujours placée derrière le personnage. Toute cette tension alimente l'imagination du spectateur jusqu'à la révélation en cours de film de l'horreur absolue.
Cependant on regrettera un peu la dernière partie du film avec cette enquête policière un peu baclée et trop convenue, tant il est vrai que les deux premiers tiers du film sont admirablement bien réalisés et que Franju avait parfaitement su retranscrire le suspens de l'oeuvre originale de Boileau-Narcejac. Bref, une histoire qui aurait pu être "magnifiée" par le grand Hitch mais pour laquelle le réalisateur s'en tire de façon fort honorable.
Le film est servi par une interprétation de choix : Pierre Brasseur est impressionnant dans ce rôle de chirurgien obsédé par l'idée de redonner un visage humain à sa fille et la merveilleuse Alida Valli et ses yeux si expressifs qui reflètent la folie de son "maître" tient son rôle de fort belle façon. De même Edith Scob est très émouvante derrière ce masque que lui impose de porter son père : il se dégage de son regard une tristesse infinie et troublante.
Un film à voir ou revoir, histoire de comprendre ce qu'est du vrai bon cinéma français.
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