Bad Lieutenant raconte l’histoire d’un lieutenant de police new-yorkais, marié et père de famille qui ne résiste pas à ses penchants pour tous les vices que sa fonction et son insigne semblent lui autoriser : les tentations quotidiennes sont trop nombreuses. L’horreur et le mal y sont banalisés, surtout lorsqu’il s’agit de petite délinquance. Sous l’emprise de l’alcool et de la drogue, il s’enfonce sans cesse d’avantage dans la spirale des jeux d’argent, notamment à travers divers paris sur des équipes de base-ball. Ruiné, perdu, déchu, menacé de mort par ses créanciers, il cherche désormais quelque rédemption en voulant venger le viol d’une jeune religieuse…
Le film naquit d’une chanson écrite à l’occasion du viol d’une nonne dans Spanish Harlem en 1982. Le film de Ferrara s’éloigne du thème principal comme de toute la convention pro policière des années 80 et 90, pour renouer avec les grands flics existentiels des années 20 et 70. Comment le représentant de la Loi sert t’il, non pas à légitimer et conforter symboliquement un ordre injuste, mais à mettre la légalité elle même en crise. Le lieutenant de Ferrara incarne le rapport au mal concret, non pas d’abord comme un phénomène politique et économique, mais au titre d’une crise morale à ce point instinctive qu’elle ne se manifeste même plus comme un problème que l’on pourrait expliciter, formuler ou discuter. Dans Bad Lieutenant, le mal ne relève pas d’une réalité locale, explicable et réductible, il informe de toute les dimensions de l’expérience humaine et se manifeste par une déflagration de gestes, de cris et d’actes qui renvoient le tourment à sa dimension de souffrance organique. Le lieutenant reste immergé dans le mal, il s’en trouve asphyxié, ivre, intoxiqué, il ne peut que l’absorber encore plus et toujours comme s’il voulait entièrement l’inhaler. L’événement principal du film ne consiste pas à résoudre un cas criminel mais à se laisser traverser par la grâce du pardon, au titre d’une folie sublime qui équivaut à un suicide effectif. Bad Lieutenant est terrassé par la grâce, hanté par les origines physiques et métaphysiques du mal terrestre. Bad Lieutenant transforme la religieuse en objet sexuel, ce qui en à choquer beaucoup et en choquera encore beaucoup, le battage médiatique qu’il y à eu autour de ce film à surtout réussi à l’imposer comme œuvre cinéphilique à part entière. Le cliché de la religieuse profanée sert à accentuer la dimension sacrée, dangereuse et toxique de l’érotisme. Bad Lieutenant fut très mal accueilli à sa sortie, et même s’il n’est pas du goût de tout le monde, ce film est l’un des plus grand sur la rédemption, jusqu’où est on prêt à descendre pour la trouver ? Martin Scorsese lui même en à fait les éloges, c’est dire. La souffrance réelle émane du métrage, les façons dérisoires dont on s’en défend. Le Bad Lieutenant va absorber le mal terrestre jusqu’à la mort. Plutôt tout détruire que se résigner, plutôt mourir que se réconcilier. L’œuvre de Ferrara ne nous apaise pas, au contraire, elle nous rappelle que rester inconsolables constitue le substrat éthique d’une vision critique du monde. La performance d’Harvey Keitel est stupéfiante, tout bonnement incroyable. Le voir descendre ainsi au enfer, jaillissant le sol en implorant le pardon à celui qui pardonne en poussant des petits cris de rage, de haine, de souffrance. On croirait qu’il à vraiment vécu ça. Le voir se shooter à l’héroïne ça par contre est vrai, si si, il en à vraiment pris. Certaines scènes du film sont poignantes, notamment celle ou Bad Lieutenant demande à 2 jeunes filles en infraction sur la 11ème avenue de lui faire d’humiliantes scènes sexuel pendant qu’il se masturbe. Cette scène dure assez longtemps et ça pourra en déranger certains, mais elle à le mérite de montrer clairement à quel point ce flic est au bord du gouffre. Ensuite il y à cette scène du viol, qui dure aussi un certain temps et qui se déroule au ralenti pour qu’on y voit pleins de détails, de plus cette scène se déroule dans une église, on peut y voir notamment une statue de la vierge Marie regardant le spectacle, bref. Bad Lieutenant traite de l’autodestruction d’un homme, de religion, de dépendance. Malgré sa courte durée le film traite de ces sujets admirablement, le mal de vivre du Bad Lieutenant y est poussé à son paroxysme. Malgré la pourriture qu’est le Bad Lieutenant, tout le monde sera pris de compassion pour cet homme, certainement car tout le monde sait qu’au fond de cet être brute et sans code d’honneur se cache une humanité délaissée. Bad Lieutenant est tout simplement un chef d’œuvre de la sorte malgré son coté provocateur mais tellement réaliste. Je vous laisse avec ce texte qui fait préface dans le livre qui est joint au DVD.
Tristesse et rage et mélancolie et abjection et toute cette foutue rédemption et cette foutue incarnation et cette foutue résurrection et tout ce foutu catholicisme qui nous encombre ou nous soulage, c’est selon, et dont on ne sait plus que faire et qui malgré tout fait le cinéma le plus insensé, celui qui nous montre le chemin et qui tend au dessus de nos têtes un ciel si vaste qu’il nous effraie, si vaste qu’il tient dans le creux de la main d’un condamné à mort, si vaste que jamais rien ne l’achève si ce n’est l’amour et c’est bien là qu’il nous effraie, et le voici le Bad Lieutenant pris dans toutes ses embrouilles, dans la dope et le jeu et le sexe et la trahison de ceux qu’il aime, pris dans sa bêtise comme chacun, seul malgré sa famille et le monde autour de lui, le voici si faible et sur son corps et sur son âme pèse le poids de chaque jour vécu et il en pleure, le voici le Bad Lieutenant à genou dans une église à demander pardon à celui qui pardonne, le voici défoncé et perdu et pitoyable et magnifique et enfantin, à se traîné vers le Christ ressuscité, descendu de la croix, vers le Christ de l’Annonce, le Christ de Paul, qui nous enseigne que nous ne sommes pas sous l’emprise de la Loi mais de la grâce, le voici qu’il hurle et on entend retentir l’écho de sa voix, et le voici qui s’approche du Christ, du corps glorieux et sanguinolent du fils de l’homme et il baise ses pieds et c’est une vieille femme, une vieille black qui le regarde, toute étonnée de voir cet homme se vautrer lamentablement par terre devant elle, mais c’est que le Christ est en chacun de nous, mais c’est que nous sommes les porteurs de la lumière, mais c’est que Ferrara trace ici sans l’ombre d’un doute la figure la plus inouïe de l’homme façonné à la ressemblance de Dieu.
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