Revoir Le prisonnier aujourd'hui revient à entamer un voyage étrange et mystérieux vers une zone d'ombre sans cesse exploiter par les plus grands artistes : l'esprit. Car sous ces allures de série un peu kitsh, Le prisonnier est l'une des plus belles allégories jamais créees sur l'aliénation de l'Homme par la société. D'une façon générale et 30 ans avant Fight club, il s'agit d'un voyage burlesque, tragique, effrayant, incompréhensible et souvent cruel dans une réalité déformée et avilissante : le village, symbole puissant de nos esprits transformés sous le coût de la pression sociale.
Dès le premier épisode, les bases visuelles comme thématiques de la série sont posées avec une efficacité remarquable. Là où il faut plusieurs épisodes à certaines sagas pour réellement débuter, Le prisonnier met à peu près 10 minutes pour devenir un ensemble cohérent et tout de suite intéressant. Le postulat de départ est plus que troublant : un ancien agent secret se retrouve coincé dans un village peuplé d'habitants endoctrinés et inquiétants à force de bonne humeur. Immédiatement la prison psycologique comme l'enfermement physique du personnage devient passionnant. Car sous ces allures de club med kitsh le village ne ressemble en rien à un camp de concentration. Les apparences sont trompeuses et la cage s'apparente à un miroir invisible et obsédant matérialisé par le rodeur, boulle blanche inquiétante qui étouffe ses victimes. L'ambiance fantastique régnant sur la communauté est parfaitement mise en valeur par une réalisation aux partis pris esthétiques audacieux pour un série datant de 1967 : montage dynamique, cadrage serré sur un Patrick Mc Goohan charismatique en diable, décors destabilisants souvent érigés pour renforcer les différents troubles psycologiques que traversent le héros.
Au village, tout le monde porte un numéro, chaque habitant est surveillé, classé, filmé, épié, écouté, manipulé par des drogues ou par une éducation mettant l'accent sur les vertus de l'ignorance : "Motus et la vie sera plus belle", "Les questions sont des fardeaux, les réponses sont des prisons". Alors, le village, résidence du fan club de la star academy ? Non mais plutôt une actualisation franchement brillante de quelques oeuvres littéraires dénonçant les dangers de la négation de l'Homme en tant qu'individu. On pense à 1984 de George Orwell pour la description d'une société totalitaire et paranoiaque ("Big brothers is watching you") et au procès de Kafka. Tout comme Joseph K., numéro 6 -Patrick Mc Goohan- est innocent. Sa seule faute réside dans sa différence. Tout comme Joseph K., numéro 6 aura à subir des procès ridicules. Tout au long de la série, la figure du procès constituera une figure emblématique du Prisonnier. Accusé d'individualisme, d'anti-social, de danger pour la communauté, numéro 6 aura fort à faire pour garder son intégrité et ce malgré les manipulations des multiples numéros 2. .
Cette lutte acharnée d'un homme contre le système constitue le fer de lance d'une série incroyablement efficace sur le concept dramatique et sur le suspense qu'il en nait : Numéro 6 arrivera-t-il à s'évader ? Qui est le numéro 1 ? Pourquoi le numéro 6 a-t-il démissionné ? La conclusion géniale de ce monument télévisuel consacre Mc Goohan -instigateur et créateur de bout en bout de la série- comme un génie absolu. Plutôt que d'apporter bêtement des réponses simples à des énigmes insolubles, Mc Goohan préfère finir dans une conclusion qui en fera réfléchir beaucoup. Aujourd'hui encore elle alimente les amateurs de philo comme le profane téléphile.
Bien avant Bret Easton Ellis (American psycho), Fight club ou Matrix, Patrick Mc Goohan mettait déjà en garde en 1967 le public sur les dangers de la culture du groupe. "Ne soyez pas un mouton", "Ne vous laissez pas dévorer par le système". Message reçu. Faites passer...
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