Patrice Leconte aime à confronter les acteurs : on songe à « Une Chance sur deux » qui réunissait une dernière fois Delon et Belmondo en les opposant à la jeune génération représentée par Vanessa Paradis.
« L’Homme du train » met cette fois en présence Johnny Hallyday et Jean Rochefort, tous deux excellents, ans une histoire toute en demi teinte.
Un homme, Milan (J. Hallyday), qui voyage en train, descend dans une petite ville et croise un professeur de français à la retraite, Manesquier (J. Rochefort). Une rencontre en apparence fortuite. Pourtant le réalisateur ne laisse rien au hasard : le choix du lieu et du moment de la rencontre ne sont pas anodins et lui permettent d’emblée de situer les personnages et de préciser le thème du film. Mais il le fait de manière visuelle, d’une façon éminemment allusive et avec une grande sobriété. C’est en effet la fin du jour (or les personnages sont au soir de leur vie) et ils se croisent dans une pharmacie où chacun vient se soigner (signe évident d’un mal-être car leur vie ne les satisfait pas ou plus).
Manesquier est curieux de Milan qu’il invite. On le sent tout de suite fasciné par cet étranger bourru et taciturne et ce qu’il représente d’aventure et de mystère : que vient-il faire dans sa ville ? Pourquoi transporte-t-il des revolvers ? Car lui, l’homme de la poésie et des livres, a le sentiment douloureux de n’avoir pas vécu la vie qu’il espérait, ou qu’il espère encore. De son côté, Milan, être silencieux que l’on sent désabusé, semble curieux de la vie, si différente de la sienne, que mène son hôte. Lui, l’homme du train, c’est-à-dire de nulle part et sans passé, se surprend à apprécier cette maison de famille chargée de souvenirs qui l’accueille et ce sentiment de confort qu’elle fait naître.
Loin d’être statique, le récit de cette brève rencontre progresse durant les trois jours de la durée du film vers un rapprochement de plus en plus marqué entre les deux personnages, jusqu’à leur « séparation » ( ? ) finale.
On ne peut passer sous silence une réalisation toute de sobriété, d’élégance et de finesse. C’est sur les visages que P. Leconte, à l’aide de plans rapprochés et de gros plans, dessine les sentiments de ses personnages et nous pousse à lire leur personnalité et à décrypter le destin qui les attend.
On citera également la façon de filmer l’arrivée de Milan : la caméra le saisit de loin et par un travelling latéral continu qui glisse de la droite de l’écran (il entre dans la gare et disparaît dans le bâtiment) vers la gauche (il en ressort). Ce plan est limpide : il dit que Milan ne fera que passer, anonyme, à peine entraperçu, dans cette ville ; et que sa solitude et son inaccessibilité ne lui permettent que de traverser la vie, comme il traverse cette gare, sans jamais être vu, sans jamais se poser nulle part.
Un autre exemple d’une réalisation qui multiplie les signes qui se font écho à l’intérieur même du film. Ces nombreux tableaux, qui décorent les murs de la maison de Manesquier et qu’il montre non sans quelque ironie à Milan, représentent non seulement un élément du récit (son appartenance à une famille aux racines anciennes) et du décor (une accumulation qui révèle le milieu bourgeois) mais inspire même la réalisation. Il suffit de rappeler ce plan –composé comme un tableau intimiste de grand maître : dans le clair-obscur du soir, Milan et Manesquier, en veine de confidences, sont placés de part et d’autre d’une fenêtre qui donne à voir, dans le jardin, une composition florale dont les couleurs à la fois délicates et vives éclairent, de la lumière de l’espoir, le cœur même de la scène. Emotion et lumière diffuses.
De cette étrange rencontre, Patrice Leconte sait montrer tous les enjeux et les dangers à travers l’utilisation des décors (une ville anonyme, Annonay, grise, sans charme), une maison étouffante, surannée, vestige d’un passé à jamais révolu, des couleurs à l’unisson (chaudes mais sombres dans la maison, ou sans éclat : gris bleu, beige, jaune pâle) et, surtout, d’une caméra au plus près des visages pour en dessiner les forces et les faiblesses, pour en saisir les cicatrices. La musique, à l’unisson, se fond dans cette atmosphère toute en nuances mais peut à l’occasion, par exemple pour traduire les peurs pusillanimes de Manesquier face au jardinier, disparaître au profit de sons plus inquiétants.
Le dénouement va précipiter les événements qui, tout en se mettant en place, suivaient un cours nonchalant. La fin, tout à fait inattendue, réussit le tour de force de mêler les contraires en faisant communier à distance les personnages par un montage parallèle et alterné de plans. Le rendez-vous que chacun des deux personnages a avec le destin et qui est pourtant si différent (l’un va « opérer » quand l’autre va être opéré) se révéle étrangement semblable. A l’aide d’images surprenantes, ramassées en une vision onirique mais funeste, le réalisateur magnifie la part de rêve que nous portons en nous et qui refuse de céder aux injonctions du temps.
Un film et des personnages que l’on a du mal à quitter quand le film s’achève...
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