Mark Romanek signe avec beaucoup de tact et de sensibilité, un film très prenant sur un personnage névrosé fascinant.
Sa réalisation est un modèle du genre dans la mesure où elle est parfaitement adaptée au sujet. C’est ainsi que le réalisateur définit l’univers de Sy à la fois dans l’espace (lieux clos de la grande surface et de son appartement) et par des couleurs désaturées : des blancs, des gris, des gris bleu glacials. A cet univers étriqué, à cette vie triste et sans couleurs de Sy, il oppose le monde des gens « normaux » qui se déplacent dans l’espace et qui s’éclaire de couleurs toutes plus vives les unes que les autres.
Ensuite, le portrait de Sy est longuement développé et, notamment, ses relations difficiles tant sur le plan professionnel (il n’est pas reconnu à sa juste valeur) que relationnel avec autrui (ses tentatives pour communiquer échouent).
C’est que Sy porte en lui un lourd secret qui le sépare de ses semblables : d’ailleurs, le réalisateur le filme souvent derrière une vitre ou une vitrine, comme s’il n’était pas immergé dans la vie réelle, mais, à part, dans un univers parallèle. Dès lors, c’est l’appareil photo qui sert de médiateur entre cette réalité que Sy contemple à distance et la représentation qu’il en a dans les photos. Il ne lui reste donc plus qu’à vivre par procuration en utilisant ses photos pour créer un univers imaginaire (le réalisateur propose d’ailleurs quelques séquences oniriques surprenantes) et en s’inventant une vie qui ressemblerait à celle d’autrui.
Mark Romanek, enfin, toujours soucieux d’exprimer visuellement le sens de son film, multiplie les signes avant-coureurs du drame qui se met en place et finira par éclate. C’est une photo de Sy posée sur la table familiale qui nous « annonce » qu’il vient de s’immiscer chez les Yorkin ; ce sont des remarques et des avertissements du Directeur du magasin qui « prépare » le facteur déclenchant de la crise ; c’est l’intérêt de Sy pour Jake qui « préfigure » la révélation au policier au terme du film. Il s'ensuit d'ailleurs un dernier plan final, des plus surprenants et d'une grande force, digne des plus grands films du cinéma (dont il n'est maheureusement pas possible de montrer tout l'intérêt pour ne pas révéler la fin) : tout l’art du réalisateur est ici de suggérer – visuellement - plutôt que de dire.
Ce film, qui a amplement mérité son Prix du Jury de Deauville en 2002, montre un grand respect pour un personnage, Sy, que l’on n’est pas près d’oublier. IL faut dire que Robin Williams est tout à fait remarquable. Et l’on attend avec impatience le prochain film d’un réalisateur capable de mettre autant d’humanité dans le regard qu’il porte sur son personnageet de proposer une réalisation aussi suggestive visuellement.
Plus subtilement, Mark Romanek nous laisse entendre que le spectateur, avec le cinéma, comme Sy avec ses photos, vit lui aussi par procuration. Simple question de (p)Sy(chologie).
|