Au début du film, sur les images d’une plage au bord de l’océan, une voix « off » d’enfant évoque son père. Cette séquence d’ouverture se retrouve deux heures de film plus tard pour clore le retour en arrière au cours duquel Sam Mendès a raconté l’histoire de ce père et de son enfant.
Dans le Chicago de 1931, en pleine Prohibition, Michael Sullivan (Tom Hanks) est un tueur professionnel au service du chef de la pègre irlandaise John Rooney (Paul Newman) qu’il considère comme son père spirituel tandis que ce dernier lui témoigne estime et affection. Ce tableau idyllique d’un univers quasi familial se trouve bouleversé par les agissements de Connor, le propre fils de Rooney, qui entend prendre la place de son père. Les apparences volent alors en éclats et le film bascule dans la tragédie.
Une tragédie qui est, d’abord, celle d’un homme, Michael Sullivan, qui menait jusque-là une double vie et se voit, suite à un enchaînement fatal de circonstances, plongé dans le malheur et contraint, tout à la fois, de s’opposer à ce qui était son milieu affectif et professionnel, de venger sa famille et de protéger son fils (témoin malgré lui d’un meurtre) et lui-même d’une élimination préventive.
On assiste alors à un double mouvement parallèle mais inverse : d’une part, à une descente aux enfers (se venger signifie pour M. Sullivan se retrouver seul contre la pègre) mais aussi à une ascension vers une rédemption spirituelle (assurer la survie de son fils est une façon de se racheter de son passé de criminel et de mauvais père).
Mais c’est visuellement -et c’est l’un des atouts du film- que Sam Mendès traduit ce double mouvement : il nous montre un M. Sullivan très entouré à l’écran au début du film (relations nombreuses, amis précieux et famille refuge) pour, progressivement, l’installer dans une solitude désespérée, en charge d’un enfant qui représente une entrave face à un univers hostile et menaçant alors qu’il est pourchassé par un tueur psychopathe (Jude Law) lancé à ses trousses. De même, le chemin du rachat se lit à travers les transformations successives d’un décor et d’une lumière très symboliques : la neige glaciale du début du film fond peu à peu ; lui succède une pluie dense, diluvienne, oppressante ; avant que la lumière de l’océan n’envahisse l’image à la fin du film. De la neige au soleil de la mer, de l’ombre à la lumière, ces «sentiers »-là mènent au salut. Mais un salut qui exige son tribut : le châtiment est souvent le prix à payer pour pouvoir se racheter...
On ne peut manquer de souligner la qualité d’une photographie proprement superbe (due au chef opérateur Conrad Hall, décédé depuis) qui, souvent, organise une profondeur de champ visant à exprimer le refus des apparences (c’est-à-dire le premier plan) et la sensation (cf. le bas de la jaquette) que le héros et son fils « sortent » littéralement d’un passé trouble (désormais derrière eux) qu’ils rejettent pour s’avancer vers la lumière et la réconciliation avec eux-mêmes.
Il faut absolument, d’autre part, insister sur trois magnifiques séquences du film : la scène du premier meurtre partiellement entrevue par les yeux horrifiés de l’enfant caché ; la scène de l’exécution des membres de la pègre orchestrée en un tableau saisissant (filmée au ralenti, nocturne, sous une pluie battante, muette et silencieuse) magnifié par une photographie splendide ; la scène du châtiment final précédée d’une photo surexposée qui met en lumière l’accomplissement du héros.
Sam Mendès s’interroge ainsi, après « American beauty », sur le rôle social des apparences et, en contrepartie, sur notre besoin profond de vérité et d’accord avec nous-même, à travers des personnages nuancés et complexes qui sont,tour à tour, dans l’ombre et la lumière, comme l’illustre la photographie du film.
Il signe un film certes très construit mais profondément émouvant, voire poignant qui impose le respect. A voir absolument et à revoir !
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