Réalisé en 1976 alors que le western spaghetti était à l’agonie, ce "Keoma" va prouver une dernière fois toute la puissance et la réussite que le genre aura été capable de nous offrir, bien loin des parodies pour au contraire imposer une ambiance fantastique crépusculaire qui viendra donner de l'ampleur à une intrigue assez classique tout en multipliant les sous-entendus politiques et sociaux.
Le script va laisser un métis revenir chez lui après avoir combattu à la Guerre de Sécession pour y retrouver une ville rongée par la peste et aux mains d'un tyran.
Dès son introduction le métrage va dès son introduction s'appliquer à avancer cette atmosphère onirique et pour le moins sinistre afin d'avancer le personnage central, Keoma, que nous verrons arriver dans un endroit délabré et balayé par le vent pour y retrouver une vieille femme aux allures de sorcière avec qui il va revenir sur le passé (nous dévoilant quelque peu les origines indiennes de Keoma) et augurer d'un avenir meurtrier.
Ensuite le métrage va s'intéresser à Lisa, une jeune femme enceinte faisant partie d'un convoi de pestiférés conduits vers une mine sous bonne escorte, mais que son mari va essayer de déjouer en faisant diversion pour qu'elle puisse s'enfuir avec pour résultat la mort de plusieurs malades et une Lisa restée seule à bord de la carriole. Alors que les hommes accompagnant le groupe s'apprêtaient à tuer Lisa, Keoma va intervenir et sauver la jeune femme qu'il va emmener avec lui en ville, au saloon, pour qu'elle puisse manger. Mais bien entendu, il devra user de la force et de la persuasion pour imposer leur présence, Lisa étant considérée comme atteinte de la Peste qui sévit dans la région et oblige Caldwell, l'homme régnant sur le secteur à isoler les malades sans assistance à la mine.
Cette entame du métrage posera les bases évidentes d'une intrigue calibrée ou Keoma affrontera forcément ce Caldwell que l'on devinera intéressé, tout en mettant en avant l'adresse et le charisme de ce Keoma qui arrivera à en imposer à tous ses adversaires, sans pour autant faire preuve de la violence plus que de raison. Mais l'intrigue va se donner une profondeur significative en faisant appel au passé de Keoma avec divers éléments venant interférer efficacement dans le film, comme lorsque ce personnage ira rendre visite à son père pour se remémorer les brimades dont il a été victime de la part de ses trois frères étant enfant, ou lorsqu'il va retrouver son idole de jeunesse, George, un noir désormais alcoolique mais qui aura initié Keoma dans le maniement des armes.
Au travers de ces passages moins tournées vers l'action, le réalisateur Enzo G. Castellari va fournir au métrage une charge émotionnelle qui trouvera ses répercussions tout au long du film, avec évidemment la présence des frères de Keoma qui vont appartenir à la bande de Caldwell, mais encore l'implication du père de Keoma et de George qui vont lutter à ses côtés, mais cela permettra aussi au réalisateur de nous livrer quelques réflexions intéressantes sur le sens de la vie mais également sur le racisme et le droit à la différence avec ces deux parias que sont Keoma le métis et George.
Mais l'action va également se montrer très présente pour suivre les déboires de Keoma avec ses frères qui ne seront guère réjouis de le voir revenir en ville et avec qui il devra se battre une première fois, tandis que Caldwell ne va pas non plus apprécier sa présence ni celle d'une Lisa que Keoma va sauver plusieurs fois tout en redonnant du courage aux citoyens apeurés et en poussant le médecin local à aller chercher des médicaments pour guérir de cette Peste qui ronge la ville, ce qui réduirait l'influence de Caldwell. Cela nous vaudra quelques séquences réussies de traques nocturnes et de fusillades disproportionnées lorsque Keoma va défier ouvertement un Caldwell qui débarquera en ville avec tous ses hommes pour se débarrasser de Keoma et de ses rares alliés, pour ensuite orienter le métrage vers un final certes attendu et quelque peu vite expédié, mais pour autant chargé d'une tension éreintante qui clôturera le film sur une note assez pessimiste en accord avec l'ambiance globale dans laquelle aura baigné l'ensemble de l'intrigue.
En effet, Enzo G. Castellari aura développera tout au long du film une atmosphère sinistre à la lisère du fantastique symbolisée par la présence récurrente de cette vieille femme aux allures de sorcière qui sera présente lors des temps forts du film comme un "oiseau de mauvaise augure" pour des apparitions surprenantes et marquantes, tandis que les décors dégradés de la ville confirmeront cette note lugubre encore renforcée par la présence de ces pestiférés parqués dans une allusion à peine voilée au nazisme.
Les personnages auront été bien travaillés malgré l'urgence dans laquelle s'est développé le métrage (sans script définitif lors du tournage) pour ainsi avancer un Keoma désabusé et à la recherche d'un sens pour sa vie et qui va épouser cette cause pour libérer sa région natale de l'emprise de ce Caldwell qui par contre restera plutôt pâle en comparaison des autres protagonistes annexes que seront le père de Keoma, représentant d'une certaine sagesse, ou encore ce George désenchanté, la touche féminine apportée par Lisa étant quant à elle atypique puisque jamais Keoma ne cherchera à la conquérir, son état de femme enceinte n'y incitant évidemment pas.
L'interprétation est largement convaincante, portée par un Franco Nero retrouvant là un personnage digne de "Django", tandis que Woody Strode incarnera un George parfait, laissant William Berger jouer le père de Keoma de façon efficiente et que Olga Karlatos, qui deviendra "célèbre" trois ans plus tard grâce à Lucio Fulci dans "L'enfer des zombies" avec cette scène de l'œil énucléé, sera parfaite dans le rôle de cette Lisa apeurée et ne comprenant par forcément pourquoi Keoma s'occupe d'elle avec tant de ferveur. La mise en scène d'Enzo G. Castellari est efficace pour garder un bon rythme global tout au long du métrage, tout en nous gratifiant de plans et de cadrages étonnants.
Donc, ce "Keoma" aura offert au western spaghetti un chant du cygne remarquable, percutant et impliquant, qui ne fera que regretter encore plus la disparition du genre !
|