Forty shades of blue traite avec subtilité de l'incommunicabilité entre père et fils et entre mari et femme. Mais Ira Sachs nous parle également de regards singuliers, ceux de deux étrangers à un monde dont ils sont tour à tour observateurs et partie prenante, qui en se croisant se reconnaissent et s'aiment. Relevons le talent de Dina Korzun découverte dans Transit palace de Pawlikowski, la grâce de son sourire timide quand elle moque la maladresse de son anglais "qui passe pour excellent en Russie", son émouvante modestie d'effets quand elle joue, sous le corps de l'amant, un orgasme tout en onde de chaleur tremblée; l'ennui sans méchanceté qu'elle sait conférer à son expression quand c'est son régulier qui l'honore ou croit l'honorer. A mesure qu'il s'enrichit le portrait offre toutes les nuances possibles. Pourtant, malgré tout, le personnage reste opaque. Que pense Laura lorsque ses yeux fixent, vides, le plafond ? Quels sont ses motifs ? Se marier ? S'enfuir plutôt avec l'homme qu'elle aime ? Et pourquoi se donner à un troisième, dans l'aube forcément blême ? Ira Sachs ne fend nulle brèche dans le lisse visage de Laura, jusqu'à un magnifique dernier plan qui finit de l'isoler. Alors elle a si bien conquis son autonomie qu'elle peut désormais s'échapper et nous échapper.
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