Personnage haut en couleur ayant fait cent métiers et tenté l'aventure de la politique, auteur des Pornographes (roman à scandale défendu per Mishima), Nosaka raconte dans Le tombeau des lucioles un épisode crucial de sa vie, dans un style emporté par l'urgence du récit. Après que les B-29 américains eurent déversé sur Kobé des milliers de tonnes de bombes incendiaires, Seita, un adolescent de 14 ans, et Setsuke, sa petite soeur de 4 ans, voient leur mère mourir de ses brûlures et restent sans nouvelles de leur père embarqué sur la flotte de guerre du Soleil levant. Très mal reçus par leur tante, ils finissent par s'installer dans un abri désaffecté en pleine campagne et y vivent tout d'abord des jours heureux au milieu des lucioles. Mais la fillette ne tarde pas à mourir de malnutrition, bientôt suivie par son grand frère. L'auteur avoue avoir "embelli" son histoire : c'est une mère adoptive qu'il a perdue sous les bombes et c'est sa soeur d'adoption qu'il a vue mourir le 27 août 1945, après des mois de famine. Et s'il a choisi de faire mourir Seita, c'est par culpabilité : "Car en vérité, je n'étais pas aussi tendre que l'adolescent du récit. J'étais cruel : c'est en mangeant le dû de l'autre que j'ai survécu. C'est en refoulant cette cruauté que j'ai écrit ce récit qui m'a permis par la suite de gagner ma vie." Le film reprend fidèlement le récit tel que Nosaka l'avait fictionnalisé.Sans complaisance, sans pathos, sans effets mélodramatiques, Takahata touche le spectateur, même dans les instants de bonheur, tels les ronds dans l'eau du bain, la découverte de bonbons dans la boîte que l'on croyait vide, la lueur des lucioles, le chant des grenouilles sur les nénuphars.... C'est dans ces moments, ou encore quand la fillette boude en dodelinant des épaules ou éclate en sanglots, que Takahata justifie le mieux l'usage de la technique de l'animation. Ce film extrêmement réaliste aurait pu, serait-on en droit de se dire, être réalisé en prises de vue réelles, évitant ainsi la peine de faire dessiner près de 55000 "cellos". Or c'est précisément en affichant le soin particulier à interpréter graphiquement certains détails (le vol des lucioles, les reflets dans l'eau, la démarche d'un crabe, les mimiques et larmes d'un enfant) que le réalisateur éveille l'attention du spectateur. C'est par ce surcroît de réalisme qu'il crée la poésie. Pour les "malheureux" qui n'auraient pas encore eu la chance de visionner ce film et qui voudraient rattraper cette lacune, un conseil : munissez vous de mouchoirs.
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