Avant Keane et Claire Dolan, Lodge Kerrigan réalisait Clean, Shaven en 1994. Ce film insolite et éprouvant augurait bien de la suite. Son heros schizophrène, persuadé d'avoir un récepteur dans la tête, creuse son crâne avec un couteau, s'arrache un ongle pour déloger l'émetteur qu'il croit logé dans son doigt, se rase jusqu'au sang. Il serait absurde de réduire ce film stupéfiant à ces plans insoutenables, tant Kerrigan témoigne de maîtrise et de sobriété dans son traitement d'un cas mental. Poursuivi par un détective, Peter est à la recherche de sa petite fille (cf. Keane) dont on lui a enlevé la garde. Le scénario joue sur le mystère et on ne saura jamais si le personnage central est aussi ce serial killer qui tue les enfants. La structure du film criminel donne à Kerrigan toute liberté pour se concentrer sur l'étude d'un cas mental, en travaillant particulièrement une bande-son d'une extraordinaire présence avec son kaléidoscope de bruits et de musiques qui suggère le désordre mental du protagoniste. L'ambiguïté poétique du récit est relayée par la peinture d'un paysage abstrait, mélancolique et austère. Kerrigan, en brisant sans cesse la cohérence visuelle et sonore de son récit, nous fait pénétrer physiquement dans un univers mental. Ce film est de plus servi par son interprète principal, Peter Greene, qui apparaissait dans l'excellent Laws of Gravity de Nick Gomez et dans Pulp Fiction de Tarantino.
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