Si certes Friedkin s'est planté dans sa carrière (c'est indéniable), il ne faut pas oublier des oeuvres comme L'exorciste, French Connection, Police Federale Los Angeles, le Convoi de la peur et ce Cruising, qui constituent un panel des plus grands films américains de ces trente dernières années. Ce qui caracterise le cinéma de Friedkin, c'est son ambiguité. Ses films troublent, agaçent... mais fascinent souvent. C'est le cas de Cruising, tiré d'un fait divers, qui exerce un pouvoir à la fois fascinateur et répulsif.
Cruising fut un échec considérable, intervenant après celui du Convoi de la peur quelques années plus tôt, échec qui l'affligeat. A l'époque du tournage, la communauté gay s'etait divisée : ceux qui ont accepté le film et les détracteurs qui s'y sont formellement opposés, empêchant ainsi le tournage d'arriver à son terme. Certains pensaient en effet que le film constituait une atteinte à la communauté gay. Friedkin expliquait pourtant que le film reflètait la realité qui lui avait été montrée. Ainsi, son film s'apparente à un documentaire du milieu Sado-Maso Underground new-yorkais au début des années 1980.
Particulièrement abject, Cruising s'attache à nous raconter la sombre histoire de Steve Burns (Al Pacino méconaissable), chargé d'infiltrer le milieu gay new-yorkais, afin de traquer un sérial-killer. Toute la thèmatique de Friedkin en somme : un héros qui traque sa proie jusqu'à en perdre ses propres repères. Steve s'acclimate très rapidement à cet « univers » qui lui est étranger. Il le dit lui-même quand son supérieur le charge de cette « mission ». Au fil de son enquête, le personnage de Steve semble évoluer. Ce n'est plus le flic discret et ambitieux du début. En ce sens, le film décrit une transformation, comme souvent chez Friedkin. Cette « expérience » lui donnera de l'assurance, mais le confrontera en même temps à ses propres ambivalences : Steve peut à tout instant basculer de « l'autre cotê ». A cet égard, Friedkin clôt son film laissant le spectateur dans le doûte le plus total : Steve finit-il comme eux ? a-t-il changé ?...
Cruising est donc un film sur les apparences : qui est vraiment le héros ? comme la plupart des personnages friedkiniens, souvent ambigus au possible (de Popeye Doyle dans French Connection à Richard Chance de Police Federale Los Angeles) on en sait peu sur Steve Burns. A ce sujet, Friedkin s'exprime : « Des influences comme Samuel Beckett et Harold Pinter m'ont appris que l'on ne sait rien sur les personnages, ils ne font que parler simplement, discuter, mentent peut-être. Ce qu'ils disent n'est peut-être pas la vérité. On a très peu d'indices pour savoir qui ils sont vraiment ou ce qu'ils pensent. Il n'y a que leur comportement et ce qu'ils disent. ». Ces dires confirment l'une des séquences de Cruising : au début du film, l'un des tueurs descend un escalier. Un peu plus tard, le même plan, mais cette fois centré sur Steve. Friedkin laisse planer le doûte sur l'identité du tueur. Friedkin expliquait que personne n'avait jamais su si un tueur était à l'origine de tous ces meurtres. Quand on connaît un peu le cinéaste, on peut imaginer qu'il s'agit d'un pretexte pour réaliser un film sur les troubles de l'identité.
Les dernières séquences du film reflètent bien cette démarche: Steve se regarde dans le miroir, se demandant : qui suis-je réellement ? et finit par interpeller le spectateur : savez réellement qui je suis ? en somme, je ne suis pas ce que vous pensez. Ce qu'on voit en surface n'est qu'une illusion. Dans Police Federale Los Angeles, Richard Chance voulait venger son partenaire, abattu par des truands. Mais jusqu'ou pouvait-il aller pour atteindre la frontière ?
Quand on arrive au terme du métrage, on ne sait pas quoi penser de ce Cruising. C'est seulement avec le recul qu'on encaisse. Un film plutôt étrange, mais fascinant en soi. Archétype même du film qu'on aime ou qu'on déteste.
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