Réalisé en 1973 par le grand cinéaste polonais Wojcieh J. Has, auteur du monumental Le manuscrit trouvé à Saragosse, adapté de plusieurs nouvelles de l’écrivain Bruno Schultz, La clepsydre est une œuvre d’une grande complexité, onirique et surréaliste, indifférente à tout jugement rationnel.
Magistralement mis en scène, ce film est un fascinant voyage dans les méandres de la mémoire, aussi bien collective qu’individuelle, servant un propos métaphysique proche des obsessions des immenses Andrei Tarkovski et Bela Tarr. Car oui, La clepsydre est un film morbide, où la mort suinte à chaque recoin, une véritable œuvre d’art où les repères spatio-temporels n’existent plus, créant dans ses décors grandioses et hallucinants un pur espace cinématographique.
Le film suit le cheminement de Josef, qui décide de faire un voyage dans les différentes boucles du passé. Au sanatorium, tous ses souvenirs, réels ou fantasmés, renaissent dans de somptueux tableaux mélangeant réel et imaginaire, entre couleurs agressives, saturées, exotiques et couleurs ternes et tristes, représentant le passé de la Pologne.
La clepsydre prend des allures de rêve éveillé, retraçant des évènements personnels ou historiques, dans lesquells Josef participe ou non, dans un formidable labyrinthe temporel. Josef est ici et ailleurs, un peu comme actuellement dans les films mystérieux de David Lynch.
Mais en filigrane se dresse un portrait déchirant des conséquences de l’Holocauste sur les petits villes juives polonaises, car Josef est bien originaire d’une ville juive. Cet Holocauste dont la Pologne a particulièrement souffert, le spectateur en sent les tragiques retombées au fur et à mesure que le film avance.
Has livre un film totalement libre qui possède de multiples niveaux de lecture. La clepsydre parle aussi du temps qui passe, de la guerre destructrice, de l’Histoire, des rêves d’un petit garçon croyant encore aux princesses (comme la princesse Bianka du film). Les plans se succèdent dans des univers différents, les espaces-temps aussi, et de boucle de temps en boucle de temps, Josef se dirige tout simplement vers la mort.
Cette mort, c’est la mort de son père, qui bien vivant revient cependant de nombreuses fois hanter Josef. C’est aussi la destruction des petites villes juives polonaises, après la Shoah. C’est enfin la propre mort de Josef, qui par le biais du cinéma, la retarde encore et encore, s’extrayant dans ses rêves, dans son enfance, dans ses fantasmes, dans ses lectures qui prennent vie devant ses yeux, dans ses relations avec la belle et sensuelle Adela, dans ses relations avec ses parents, dans ses collections de timbres, etc… Reculer à tout prix l’instant fatidique, exister cinématographiquement même s’il doit mourir physiquement, voilà le but de Josef…
Et la Mort arrive pourtant, lentement mais sûrement, emportant tout dans son néant, des souvenirs aux rêves. Et Josef ne peut empêcher cette Mort de venir à lui, comme il n’a pu empêcher son père de mourir… Dans un somptueux dernier plan, Has montre la fatalité du destin de l’homme, qui est bien évidemment la mort.
Cependant, de fabuleux moments de vie parsèment le film, lui insufflant une poésie inégalée et n’excluant pas l’humour. L’enchaînement des plans, d’une fluidité exemplaire et surtout composé de petits plans-séquence, démontre la soif de vie de Josef, qui essaie d’aller de l’avant, mais l’immobilité des derniers plans symbolise tout simplement la Mort qui finit par englober notre héros. Absolument magnifique.
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