Réalisé en 1964 par le grand cinéaste américain Don Siegel, auteur du film culte L’invasion des profanateurs de sépultures, de L’inspecteur Harry ou encore du magistral Les proies, A bout portant est un remake violent et nihiliste du célèbre film noir Les tueurs de Robert Siodmak, qui date de 1946, avec Ava Gardner et Burt Lancaster. Au départ prévu pour la télévision, A bout portant a effrayé, par sa brutalité, les producteurs qui ont finalement décidé de le sortir en salle.
Interprété par un impressionnant Lee Marvin, mais aussi par la belle Angie Dickinson, John Cassavetes et dans un rôle de méchant mémorable Ronald Reagan, A bout portant est un thriller d’une efficacité redoutable. Dès la scène d’ouverture, d’une rare sécheresse, le spectateur est plongé dans un univers poisseux, mystérieux, voire terrifiant.
Siegel opte pour un ton totalement différent de Siodmak. Il ne garde que la trame principale : un homme prénommé Johnny (John Cassavetes) se laisse assassiner volontairement par deux tueurs (Lee Marvin et Clu Galagher). Si Siodmak utilisait un noir et blanc expressionniste pour livrer un film noir typique des années 1940, Siegel réalise un pur polar urbain, dans des décors d’une banalité affligeante, où toutes les actions se déroulent en pleine lumière. Le personnage interprété par Angie Dickinson n’a plus rien de la femme fatale incarnée par Ava Gardner dans le film de Siodmak, c’est une jeune femme moderne, certes avide mais aussi plus sincère. De même, les tueurs ne sont plus ceux du film de Siodmak, archétypiques et secondaires : en effet, le couple de tueurs dans A bout portant prend les choses en main et mène l’enquête. Seul le personnage joué par Cassavetes ressemble à celui du film de Siodmak interprété par Burt Lancaster, déjà mort et marqué par la fatalité, traînant sa carcasse dans un monde où il n’a plus sa place.
Siegel utilise un style sec et nerveux qui perdure tout au long du film. Les deux tueurs sont presque devenus des abstractions. Ce qui les fait agir est certes l’argent en jeu mais surtout ils veulent répondre à leur interrogation principale : pourquoi un homme se laisse-t-il tuer sans réagir ? Dans un final anthologique, laissant tout le monde sur le carreau, la vérité éclatera, terne et prévisible.
Superbement mis en scène, porté par la musique jazzy de John Williams, A bout portant est un polar marquant où les figures héroïques ont définitivement disparues, qui n’a rien à envier au film de Siodmak. Dans A bout portant, on meurt comme un chien, dans l’indifférence générale. Le pourrissement de la société, qui crée des gens motivés par le seul désir de l’argent roi et de la consommation, ne permet plus aucun lyrisme, aucun état d’âme.
Par ses audaces formelles, son pessimisme et sa sécheresse, ce film annonce les violents polars urbains des années 1970. C’est assurément l’une des œuvres majeures de Don Siegel, qui n’a rien perdu de sa violence et de son efficacité.
|