15 ans. C'est le temps qu'il a fallu à un studio d'acheter les droits d'adaptation du roman "Le Parfum", écrit par Patrick Süskind. Une durée légendaire où les plus grands cinéastes se sont penchés sur la question: Martin Scorsese, Ridley Scott, Tim Burton, Milos Forman. Le seul cinéaste choisi par Süskind, Stanley Kubrick, a refusé de porter le roman à l'écran. Finalement, après tout ce temps, c'est Bernd Eichinger (également co-scénariste) et la compagnie Constantin Films qui a récupéré les droits, en collaboration directe avec Samuel Hadida (à travers Davis Films et Metropolitan Film Export). Son choix se porte sur Tom Tykwer, réalisateur dynamique du film culte COURS LOLA COURS, du sous-estimé HEAVEN ou encore d'un segment de PARIS JE T'AIME. Petit à petit, l'adaptation de ce best-seller s'est fait beaucoup attendre: un Paris reconstitué, un casting alléchant, une bande-annonce très prometteuse et des hordes de lecteurs en état de grâce. Le résultat est étonnant pour ceux qui, comme moi, ont seulement feuilleté le livre, et on attendu la sortie de l'adaptation avec une certaine impatience: LE PARFUM sur grand écran est un "magnifique" film, possédant des charmes inattendus.
France, XVIIIème siècle. Le film suit donc le parcours étrange et fascinant de Jean-Baptiste Grenouille, orphelin abandonné par sa mère dès sa naissance. Au fil de ses mésaventures, il découvre son don exceptionnel: son odorat surdéveloppé, qui lui permet d'analyser toutes sortes d'odeurs dans chacun des lieux qu'il visite, et il apprend ainsi à maîtriser son don. Du moins c'est ce qu'il pense jusqu'à ce qu'il se retrouve fasciné par le monde des parfums et leur création au contact d'un maître parfumeur à Paris. Un monde qui va l'entraîner dans la quête du parfum ultime, celui qui mettra le monde à ses genoux. Et il va trouver ses éléments en puisant dans les odeurs naturelles de jeunes filles…
Tout ce que l'on peut dire de la construction du film, en apparence, c'est qu'elle est construite en 2 parties bien distinctes, l'unes étant plus développés que l'autre afin de permettre au spectateur de s'habituer à la présence étrange de ce Grenouille, personnage à la fois repoussant mais attirant la pitié jusqu'à ce que sa naïveté laisse place à un désir de tuer dérangeant. La première partie du film représente donc la venue au monde de Grenouille et son apprentissage au sein de ses différentes mésaventures: les premières années de sa vie passé à l'orphelinat où des enfants tentent de le tuer alors qu'il est encore dans son berceau, son arrivée à Paris et sa première victime, son recueil chez Baldini, son apprentissage des différents parfums, son départ pour Grasse et son petit repos dans une grotte où il se rend compte qu'il n'a pas d'âme. En faites, toute cette première partie peut encore durer jusqu'à son arrivée à Grasse et les premiers enfleurements qu'il teste sur des jeunes femmes, tandis que la deuxième commence lorsqu'il ouvre sa boîte spéciale contenant les flacons de parfums afin de constituer le parfum ultime. Une deuxième partie qui s'ouvre sur un magnifique "montage" musical, où nous découvrons les efforts de Grenouille pour attraper les jeunes filles qui lui servent de notes, ainsi que les réactions des habitants de cette bourgade à la fois terrifiés et impuissants face aux actes barbares qui sévie. Personne ne peut d'ailleurs savoir ce qui pousse un meurtrier à enlever des jeunes femmes, toutes bénéficiant d'une certaine beauté, sans les violer ni les massacrer, mais en laissant leur corps nu dans des coins insolites (au bord d'une rivière, au milieu d'un champ, dans les décombres d'un appartement). Le film plonge peu à peu dans une noirceur et une oppression provoquant un étonnement général avant de se retourner contre le spectateur lors du dernier quart d'heure, enchaînant moment de folie intense et poésie totale (la scène d'orgie et de cannibalisme en sont les exemples parfaits, face à la musique et la voix-off entraînante se trouve un spectacle repoussant ou magnifié). On ne s'ennuie pas plus d'une minute durant ces 2h30 parfaitement bien orchestrées par Tom Tykwer, qui a un sens du rythme quelque soit ses enjeux (COURS LOLA COURS et sa tension omniprésente, par exemple).
Le cinéaste ne laisse pas non plus de côté la violence omniprésente de cet univers, et n'offre aucun compromis au spectateur qui ne voudrait pas regarder l'histoire en face. Après tout, Jean Baptiste Grenouille est un meurtrier, et malgré le fait qu'il soit très humanisé durant les premières minutes du film, on découvre peu à peu l'univers noir dans lequel il évolue chaque jour. Dès sa naissance d'ailleurs, où le moyen pour reproduire les descriptions horribles du marché de poisson est le recours aux flashs et aux bruitages, rendant l'arrivée du bébé immonde et repoussante, bien loin de tout ce que l'on pouvait voir. Il en va de même pour la suite du récit, faisant preuve d'un humour noir très décalé. En effet, chaque propriétaire qui échange Grenouille ou le laisse partir va être enclin à un destin funeste: une patronne d'orphelinat se fait égorger dans la minute qui suit, un bourreau sans cœur se retrouve assommer et noyer dans la Seine, puis le pauvre Guisseppe Baldini périt lorsque son immeuble s'écroule alors que les secousses ne semblaient plus le déranger. Mais les scénaristes ne se contentent pas de glisser une touche de grasse dans la mort peu importante de ces 3 personnages, très ironisées par la voix-off amusante d'un narrateur jamais omniprésent. Car dans la seconde partie du film, très noire, tout commence à devenir un peu plus agressif et oppressant: après le meurtre contemplatif d'une jeune fille aux prunes dans les rues de Paris, on découvre la suite du plan de Grenouille, qui trouve enfin un moyen pour capturer le parfum de ses victimes. Victimes composées de jeunes femmes dans la ville de Grasse, que ce soit des prostituées, des paysannes ou des passantes, mais dont la seule digne d'intérêt est Laura Richis, cette magnifique fille caractérisée par des cheveux d'un rouge éclatant et flamboyant. Encore une fois, les 3 scénaristes (dont le réalisateur et le producteur, pour rappel) ne font aucune concession malgré les doutes d'un dernier regard entre Grenouille et Laura: il va bien évidemment la tuer, lui réserver le sort des autres filles, et finir son parfum ultime. Un parfum qui entraîne une orgie géante incompréhensible mais fascinante de part sa forme (mélange de EYES WIDE SHUT pour sa grâce et CALIGULA pour la présence des corps à l'écran), mais aussi la mort de Grenouille. Il aurait pu devenir maître du monde, roi de France, mais préfère se verser le parfum sur lui, au risque de se faire dévorer par les pauvres sur la place du marché où il est né, qui lui arrachent les membres un à un avant de laisser ses vêtements sur place. Là est né Jean Baptise Grenouille. Là où il est mort. Là où la dernière goutte de son parfum tant recherché se verse.
Il n'est pas facile pour un réalisateur de retranscrire tout ce qui touche à l'odorat, surtout lorsqu'on s'attaque à des descriptions que l'on imagine parfaites dans le roman original. Pourtant, encore une fois, Tykwer s'en sort particulièrement bien, même si c'est justement là où le film peut paraître quelque peu pittoresque sur les bords. Tykwer a fait le choix de ne pas rentrer dans les plans classiques de Paris à l'époque, avec une sorte de contre-plongée mettant en avant toutes les qualités de la ville, et la plaçant au rang d'idéal comme lieu d'habitat. Ici, tout est filmé avec une certaine modernité, renvoyant aussi à certains scènes olfactives: un montage plus rapide lors de certaines séquences (la naissance par exemple), une utilisation d'effets spéciaux et de ralentis afin de rendre les scènes plus troublantes (et ça marche, par exemple lorsque l'odorat de Grenouille s'en va dans une mare au loin où se trouve une grenouille) et quelques plans accélérés pour arrondir le tout (comme la pomme que Grenouille sent venir derrière lui, un peu raté, ou ce long plan survolant une vallée à la recherche de Laura sur son cheval. La mise en scènes des autres séquences se fait de manière classique mais sacrément efficace, employant parfois une caméra fixe afin de capter les détails (tel la cave du maître parfumeur ou l'orgie de fin) ou même une steady-cam très bien dosée lors des scènes un peu plus "stressantes" (Grenouille suivant sa jeune victime dans les rues de Paris). C'est d'ailleurs grâce à cela que la musique composée, outre par Tom Tykwer himself, le duo Johnny Klimek-Reinhold Heil (auteurs de la musique géniale de LAND OF THE DEAD et du thème de FBI: PORTES DISPARUS).
Le réalisme saisissant de l'œuvre doit aussi beaucoup à l'interprétation du jeune comédien Ben Whishaw, très difficile à cerner tout comme le personnage de Grenouille. Sa carrière étant assez maigre (apparitions dans LAYER CAKE, LE MARCHAND DE VENISE, LA TRANCHEE et bientôt dans I'M NOT THERE et STONED, où il interprète le rôle de Keith Richards). Parlant peu, avec un regard de chien battu de plus en plus agressif tout en gardant une naïveté chère au personnage (la scène où il pense pouvoir capturer les odeurs de déchets est incroyable à ce niveau), il incarne avec flamboyance et mimétisme le rôle de ce Grenouille, un rôle pourtant très complexe et irritant pour un acteur. Il écrase dd'aileurs tout les autres interprètes: Dustin Hoffman délicieux en parfumeur italien dépassé par le succès et très attiré par les coquettes sommes que lui rapporte Grenouille, Alan Rickman d'une sobriété exemplaire, la jeune et magnifique Rachel Hurd-Wood (PETER PAN, AN AMERICAN HAUNTING) et bien sûr la voix taciturne de John Hurt en narrateur (DOGVILLE, HELLBOY, DEAD MAN, V POUR VENDETTA).
Au final, LE PARFUM est un petit bijou que l'on peut qualifier de chef d'œuvre pour peu que l'on soit captivé par son ambiance unique, parsemé de moments magiques et terrifiants, mêlés à un personnage particulièrement ambiguë et une violence étonnante. Niveau adaptation, je ne peux pas juger, mais si le roman est une expérience à part entière tout comme le film, il faut impérativement que je le lise.
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