Réalisé par le grand Sergi Corbucci en 1968 et interprété par Jean-Louis Trintignant, ce western sombre et pessimiste est l’une de ses plus grandes réussites, et peut-être son meilleur western-spaghetti, encore plus abouti que son excellent Django (avec Franco Nero). Dans un décor enneigé d’un blanc immaculé, ce qui est très étrange dans le cadre du western (même si le magnifique La prisonnière du désert du grand John Ford ou l’excellent Jeremiah Johnson de Sydney Pollack se déroulent aussi dans la neige, du moins par moments), Sergio Corbucci dépeint une société corrompue, entièrement sous la coupe du capitalisme et d’hommes qui, sous les oripeaux de la respectabilité, sont prêts à tout pour le profit et le pouvoir, engageant sans sourciller des chasseurs de prime pour exécuter le sale boulot, notamment déposséder la terre à ses paysans. Dans cet univers chaotique, le sang va bientôt faire son apparition et tâcher définitivement cette neige blanche et pure, métaphore à peine voilée de la société actuelle qui assoit sa réputation sur de sombres affaires. Le bon shérif (Frank Wolff), représentant encore le rêve d’une société égalitaire, finira dans un trou de glace, laissé à l’abandon et mourrant comme un chien. Corbucci va s’intéresser particulièrement à la confrontation entre Tigrero (interprété par un Klaus Kinski sobre et parfois halluciné), chasseur de prime sans foi ni loi d’une froideur implacable, à la limite du dandysme, et Silence, vengeur muet étrange et ambigu, qui va essayer d’aider les habitants tout en accomplissant sa vengeance. Dans un final surprenant et nihiliste, Silence va se faire terrasser par Tigrero lors d’un duel inégalé ne respectant aucun code d’honneur. Tigrero exterminera également Paulina (Voneta MacGee) et tous les paysans, marquant à jamais la fin des illusions. Bercé par une sublime partition crépusculaire d’Ennio Morricone, Le grand silence est une œuvre extrêmement radicale, où les hommes crèvent dans la boue dans l’irrespect le plus total. Même la belle histoire d’amour qui naît entre Silence et Paulina, où Corbucci fait preuve d’une sensibilité étonnante de sa part, sera sans issue, finissant dans la mort. Rarement un western n’aura montré avec autant de noirceur la déliquescence de la société et les tréfonds de l’âme humaine. Bref, Le grand silence reste l’un des plus grands westerns italiens, un chef d’œuvre sauvage d’un nihilisme impressionnant qui est aussi la plus belle réussite de Sergio Corbucci.
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