Ce n'est pas à proprement parler mauvais... Mais au regard des oeuvres tournées avec la collaboration de Prévert, ce Marcel Carné-là est une catastrophe; mieux vaudrait donc refouler ses souvenirs de "Drôle de drame", "Le jour se lève" et autres "Enfants du Paradis" loin derrière soi pendant la projection de ce petit film.
Depuis "L'air de Paris" en 56 (déjà un peu gentillet), le fameux réalisateur se mit à errer comme une âme en peine et crut apparemment sortir de son purgatoire en se réfugiant dans les sciences sociales... Cela donna un film sur la jeunesse germanopratine, "Les tricheurs", qui eut son petit succès à l'époque (mais que la Nouvelle Vague pulvérisa sans effort) ou encore dans le même esprit ce "Terrain Vague", sorte de tragédie moderne et urbaine -que l'on suivrait sans trop de déplaisir si un didactisme sincère et néanmoins oppressant de la part de son auteur ne venait pas faire perdre pied à l'intrigue dans les méandres du document. A moins que ce ne soit l'inverse. En tout cas, document ou mélodrame, l'un des deux est de trop...
A tout prendre il y a fort à parier qu'un spectateur d'aujourd'hui garderait le mélodrame et relèguerait au placard le fatras ethnologisant des dialogues sans aucun regret: disons que "Terrain Vague" est un film souvent irregardable à force d'expressions langagières très datées comme "c'est bath!" qui polluent les dialogues. A tel point que l'on se demande si ces expressions-là n'en sont pas le principe et non plus l'ornement. Scrupuleusement notées sur de petits carnets d'aventurier (n'oublions pas qu'il fallut donc enquêter dans les HLM, viviers de ce fameux argot par définition si volatile), systématisées pour les besoins d'une "histoire" intemporelle, ces pauvres formules "jeunes" semblent sortir tout droit du Musée Grévin. Est-ce parcequ'un tel langage, si vivant, subit la contrepartie de se démoder à toute allure? Il serait plus juste d'attribuer à la prétention d'en fixer les règles l'echec d'une telle tentative: n'est pas Fallet ou Audiard qui veut... et surtout pas le plus officiel de nos réalisateurs. Ici, la sueur coule des tempes, l'application triomphe mais les velleités "linguistiques" de Carné finissent par attendrir à la longue, comme s'il n'avait plus assez confiance en ses talents de conteur. Car devant ce "Triste Tropique" de la jeunesse en déroute, on éprouve une sensation effectivement proche de la mélancolie: c'est la fin d'un certain cinéma généreux et solide comme un repas du dimanche, mort de s'être cassé les dents sur la modernité; il faudra revenir à "Nanouk l'Esquimeau" via Jean Rouch ou Resnais et Marker, c'est-à-dire le retour à une tradition perdue. La vraie Révolution...
"Terrain Vague" ne dit plus grand-chose à grand-monde aujourd'hui; Marcel Carné ne se relèvera pas de cet échec parmi une longue lignée d'autres (Jacques Prévert non plus, remarquez: avez-vous subi lyrisme plus colossal et figé ailleurs qu'au dernier plan du "Roi et l'oiseau"?)...
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