Avec "Ne vous retournez pas", le réalisateur Nicolas Roeg signe une oeuvre étrange, éthérée, surprenante puis saisissante lors d'un final inattendu.
Le script nous présente un couple dont la petite fille s'est récemment noyée qui essaye tant bien que mal de refaire surface à Venise, tandis que l'épouse rencontre deux soeurs dont l'une d'elles, une extralucide, voit la fillette décédée.
Raconter ce film serait une hérésie et un exercice de style bien compliqué pour essayer de garder le mystère l'entourant intact et laisser le spectateur découvrir un par un les différents éléments d'une intrigue imprévisible, qui interpelle sans cesse aussi bien en insérant des petits détails qui prendront toute leur importance en cours de route qu'en ne nous laissant jamais la possibilité de prévoir dans quelle direction va aller le métrage, tant celles-ci sont nombreuses et envisageables.
Car si le métrage débute par une tragédie terrible, par ailleurs magistralement mise en scène, la suite sortira bien volontiers du schéma classique et balisé des films du genre, oeuvrant plutôt dans un style naturaliste, allant jusqu'à nous montrer l'intimité de ce couple sans aucune fioriture, mais comme étant tout à fait logique dans le contexte ( voir la scène d'amour, remarquablement filmée en plans alternatifs ), pour mieux nous faire perdre nos derniers repères, déjà bien ébranlés par des situations et des décors présentant un Venise "autre", débarrassé de ses touristes et donc désert, au point d'en devenir parfois presque surréaliste ( tout comme l'intérieur du commissariat ), mais aussi inquiétant lorsque les personnages empruntent les ruelles sombres et ténébreuses, surtout en sachant qu'un assassin pourrait rôder dans les parages.
Et l'élément surnaturel, apparemment cautionné par ces deux soeurs plus qu'étranges, ne viendra que par petites touches se joindre à l'ensemble, intervenant même parfois sans que l'on s'en rende compte tout de suite, avant d'exploser dans un final complètement bluffant, mélangeant l'absurde à la coïncidence pour mieux nous retourner comme une crêpe et nous laisser pantois devant cette révélation particulièrement astucieuse mais quelque peu roublarde, prouvant bien que l'intrigue, maligne, nous a mené en bateau de bout en bout, en ne nous laissant pas interpréter correctement les situations et leurs significations.
Les personnages, sur lesquels est principalement axé l'ensemble, offrent une psychologie passionnante et qui interpelle par leurs réactions à la suite du drame, puis devant celles soulevées par la voyante, contradictoires et présumant d'un affrontement insidieux.
Mais même si le métrage se déroule sur un rythme langoureux, cela ne l'empêche pas d'arriver à créer une tension réelle lors de ses séquences fortes ( l'accident dans l'église ), et à captiver le spectateur, la mise en scène du réalisateur oeuvrant largement pour épaissir le mystère, en ne respectant pas forcément une chronologie formelle et rigoureuse ( la scène d'amour ).
L'interprétation aide aussi largement l'ensemble à être prenant, Donald Sutherland est parfait dans son rôle de père sceptique et légèrement porté sur la bouteille et Julie Christie est bien souvent poignante.
Donc, ce "Ne vous retournez pas" reste une oeuvre singulière, entièrement à part, mais loin de la desservir, cela renforce au contraire son intérêt et son pouvoir d'envoûtement !
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