Inspiré du roman « Scintillant dans l'ombre » de Akira Yoshimura, L'anguille a valu à Shôhei Imamura la palme d'or au festival de Cannes en 1997.
Tout commence en 1988. Ayant appris l'infidélité de sa femme, Takuro Yamashita (dont le rôle est tenu par un très émouvant Koji Yakusho) rentre chez lui et surprend sa femme avec son amant. Il tue sa femme en lui plantant plusieurs coups de couteaux. Bien conscient de son acte, il va se dénoncer au Commissariat de Police alors qu'il est couvert de sang. Il est alors incarcéré.
Huit ans passent. Nous sommes en 1996 (c'est-à-dire la date où Imamura a réalisé ce film). Takuro Yamashita se retrouve en liberté conditionnelle sous la responsabilité d'un bonze, Maître Nakagima. Il a deux ans de mise à l'épreuve.
Il ne fréquente alors qu'une personne à savoir son anguille : « Elle m'écoute quand je lui parle. On est toujours d'accord. »
Il ouvre un salon de coiffure dans une friche industrielle près de Tokyo. Il va peu de temps après sauver une jeune femme qui tentait de se suicider, Keiko, qui devient bientôt son assistante.
Le salon de coiffure se remplit progressivement de clients, de même que les personnes qui entourent Takuro.
Cet homme profondément honnête et droit réapprend progressivement à vivre et principalement grâce à ces gens qui le cotoient. La force du film d'Imamura est de dresser un tableau sobre de ce petit monde. En fin de compte, tous ces personnages sont à la fois simples et forts attachants : on a le vieux pêcheur qui se prend rapidement d'amitié pour Takuro à qui il ne demande rien, le jeune illuminé qui croit à la venue prochaine d'extraterrestres, la jeune Keiko qui est redevable de Takuro de lui avoir sauvé la vie et qui tombe amoureuse de cet homme auquel elle semble s'identifier. Pour autant, malgré la gentillesse particulièrement visible de Keiko, Takuro se refuse de recevoir tout l'amour que sa jeune assistante lui tend. Il est le premier à déclarer : « Je n'ai plus rien à voir avec les femmes ».
Le poids du passé est imposant et il finit par le rattraper : presque acculé dans ses derniers retranchements, il déclare à Keiko : « Je suis un tueur ».
Oui mais voilà, à l'instar de Keiko, Imamura semble avoir un regard particulier sur l'acte commis par Takuro. Il s'agit d'un meutre, de sa femme de surcroît. Donc d'un acte extrêmement grave. Que le réalisateur ne pardonne pas spécialement mais en tout cas qu'il comprend.
Ce qui apparaît comme un film particulièrement bouleversant (le héros du film semblant a priori isolé : son interlocuteur privilégié étant une anguille) est peut-être finalement un formidable plaidoyer à la vie et par la même occasion à l'amour. A cet égard, l'évolution du film est très révélatrice. Au début, on assiste à la mort d'une personne, en l'occurence la femme de Takuro. A la fin, on nous annonce la naissance prochaine de celui que Takuro a reconnu comme étant son enfant.
En effet, bien que Takuro n'a jamais eu de rapports sexuels avec Keiko, il est le premier à reconnaître qu'il est le père de l'enfant qu'elle attend afin de lui rendre service et au bout du compte de se lier à elle de façon plus ou moins directe.
Quelque peu renfermé sur lui concernant ses sentiments, Takuro reste pour autant un être humain très attachant et qui a beaucoup d'amour à revendre et tout simplement une vie « normale » à reconstruire.
Takuro ne regrette pas son acte. Il ne sait même pas où est la tombe de sa femme. Pour autant, le personnage demeure extrêmement humain. Peut-être même plus que n'importe qui.
Une autre force du réalisateur est qu'il ne se laisse jamais aller à des facilités ou à des futilités. La reconstruction d'un homme meurtri dans sa chair (n'a t-il pas tué l'être qu'il aimait le plus au monde ?) est quelque chose d'extrêmement difficile à exprimer et à faire ressentir au spectateur. Pourtant cet exercice de style est en fin de compte merveilleusement réussi par Shôhei Imamura. Le réalisateur connu également du grand public avec La ballade de Narayama (avec laquelle il a aussi reçu la palme d'or à Cannes) réalise ici un film qui mêle poésie, tendresse, humour et sensibilité avec un talent certain.
De beaux décors, une musique sobre, des personnages attachants et même bouleversants par moments (sans qu'on tombe pour autant dans le mélo) font de L'anguille un film incontournable. Alors si vous aimez ces films où les rapports humains sont primordiaux, procurez-vous ce chef-d'oeuvre d'Imamura primé à Cannes sans plus attendre et observez le attentivement.
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