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Le résumé
: Le 9 aout 1967, l'auteur dramatique anglais Joe Orton (Gary Oldman) était
assassiné d'une demi douzaine de coups de marteau en pleine tête par son ami
Kenneth Halliwell (Alfred Molina).
Il avait 34 ans… Quelques années plus tard un biographe retrouve auprès de
l'éditeur de Joe Orton (Vanessa Redgrave) le journal du dramaturge. Commence
alors un long flash-back sur l'étonnante vie mouvementée de l'auteur anglais,
faite de violence homosexuelle et de quête insatiable du succès théâtral.
L'avis : Après My Beautiful Laundrette, Stephen Frears nous livre à nouveau
un film essentiellement centré sur l'homosexualité masculine. Mais attention,
Stephen Frears ne fait pas dans le genre racoleur : son cinéma est toujours
empreint d'une réelle sensibilité et ne tombe jamais dans le voyeurisme méchant
et gratuit.
Le film nous raconte donc la vie de Joe Orton, l'un des dramaturges anglais de
la deuxième moitié du XXème siècle les plus prometteurs, mais dont la carrière
sera abrégée par son compagnon après 16 ans de vie commune. Ce dernier se
suicidera également le même jour après avoir ingéré une très forte dose de
barbituriques.
Deux thèmes importants ressortent à la vision de ce film.
D'une part, le réalisateur nous dépeint le "underground London" des années 60 et
en observateur avisé détaille fort justement la vie et la condition homosexuelle
de cette époque.
Il est évident que cette attirance "contre-nature" ne pouvait se pratiquer
ouvertement dans la rue (trop "shocking", même en 1967). Frears filme alors les
rencontres de l'auteur anglais dans les "bath-houses", les pissotières sales,
rencontres d'un soir ou d'une heure, rencontres sexuelles uniquement, l'amour
n'ayant pas sa place dans ces endroits.
Pour autant, les scènes de Frears ne sont pas graveleuses : le montage astucieux
du réalisateur (plans sur Gary Oldman toujours en train de sourire notamment)
rendent ces scènes beaucoup plus faciles à visionner que ce que l'on pourrait
penser. De même, afin de dédramatiser cette "misère" sexuelle Frears dilue tout
au long de son film beaucoup d'humour : scène où Joe Orton découvre en même
temps la télévision (et Frears choisit avec ironie le couronnement d'Elisabeth
II) et son attirance homosexuelle ; scène de poursuite par la police dans une
pissotière (l'homosexualité était un délit passible de la prison à l'époque)….
Bref plusieurs scènes qui contribuent largement à donner un ton enjoué et joyeux
au film, tout comme le caractère du personnage principal. Car tant il est vrai
que Joe Orton avait un style de vie homosexuelle véritablement violent par
moments, il est également vrai qu'il avait une véritable envie de bouffer la
vie, de brûler la chandelle par les deux bouts lui donnant une énergie et une
volonté à toute épreuve.
Le second thème abordé par Frears et finalement le plus tragique, peut se
résumer par la question suivante : que se passe-t-il entre deux êtres lorsque
l'un deux devient célèbre et que l'autre reste dans l'ombre ?
Alors que Joe Orton est un homo "flamboyant" et provocateur, Kenneth Halliwell
est un personnage pathétique et psychologiquement déstabilisé par sa condition
homosexuelle.
Ils vivront ensemble pendant 16 ans.
Un peu dominateur, parce que plus âgé et plus cultivé qu'Orton au début de leur
relation, il va petit à petit perdre pied : il est inhibé, Orton est un
extraverti ; il est tourmenté par son homosexualité, Orton l'exhibe et la
revendique haut et fort ; il est un écrivain raté, Orton est promis au meilleur
avenir d'auteur dramatique qui soit.
Frears analyse avec finesse et talent le fossé de plus en plus grandissant qui
va séparer ces deux êtres. En effet, on éprouve véritablement de la compassion
pour ce Kenneth qui se brûle une petit peu plus chaque jour à vivre avec Orton,
mais qui ne peut se résoudre à le quitter plus par lâcheté certainement que par
amour véritable. Halliwell trouvera cependant le courage qu'il lui faut pour
mettre fin à cette souffrance, mais sa démarche sera égoïste : il ne peut se
résoudre à se supprimer sans supprimer l'homme qui l'a fait tant souffrir. Comme
quoi un style de vie violent ne crée pas forcément des hommes violents : c'est
plus le refoulement et l'inhibition qui poussent des personnes à accomplir des
tragédies violentes.
Signalons au passage les deux excellentes prestations des acteurs principaux :
Gary Oldman (Dracula, Léon, le cinquième élément) est époustouflant de jeunesse
et de vitalité, tandis qu'Alfred Molina (Magnolia, le Chocolat, Spider-man entre
autres) prête parfaitement son physique atypique au bouleversant Kenneth.
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