DVD A LA LOUPE

Résumé : Une nuit de beuverie, en 1988, Oh Dae-soo (Choi Min-sik), marié et père de famille, est mystérieusement enlevé en pleine rue. Sans en comprendre la raison, il se retrouve enfermé dans une pièce, sans autre lien avec l’extérieur qu’une télévision par laquelle il apprend bientôt que son épouse a été assassinée, et qu’il est le principal suspect. De manière tout aussi inexplicable, il est brutalement relâché au bout de quinze ans. Alors qu’il cherche à comprendre et à se venger, il est mis sur la piste par le kidnappeur en personne, qui le met au défi de résoudre l’énigme….

Avis :  Le cinéma sans concession existe encore et nous vient tout droit de l’Asie….de la Corée du sud plus exactement. Après un « Sympathy for Mr Vengeance » dont la mélancolie romantique était entrecoupée de fulgurants moments d’hyper violence et un J.S.A qui commençait de prendre le taureau par les cornes en nous racontant l’histoire d’une amitié entre 2 soldats sud coréens et 2 du nord, Chan-Wook Park nous livre une véritable bombe bousculant tout sur son passage. J.S.A pouvait nous paraître bien calme idéologiquement parlant pour nous petits occidentaux mais pour la Corée, il s’agissait d’un tabou infranchissable. Et bien là, les tabous, même les plus ancestraux sont balayés, écrasés envolés pour donner un chef d’oeuvre terriblement dérangeant dont on ne sort pas indemne, au même titre qu’ « Orange Mécanique » de Kubrick ou qu’ « Irréversible » de Gaspard Noé.
Avec ce film, Park espère faire une trilogie sur le thème de la vengeance (présent aussi dans « Irréversible ») et reprend l’idée du kidnapping comme origine de celle-ci et qui était à la base de « sympathy ». Le troisième volet devrait s’intituler « Sympathy For Lady Vengeance ». Cette fois ci, par contre, il ne s’agit pas d’un père de famille qui cherche les enleveurs de sa fille mais un homme qui veut savoir pourquoi on l’a soustrait à la vie sociale et à sa famille pendant 15 ans et qu’on la relâchée sans raisons apparentes, cette quête s’accompagnant d’une envie furieuse de tuer l’homme qui en est à l’origine.

Quand je dis que ce film est une œuvre extrême, je ne peux m’empêcher de penser que c’est du en grande partie (la majeure ????) au talent incroyable, frisant presque la schizophrénie d’un Klaus Kinsky de l’acteur principal, Choï Min-Sik, à l’origine même du projet. On est bien loin des dernières performances d’un Tom Cruise qui choisit ses réalisateurs pour mieux mettre en valeur son jeu pourtant bien fade. (Je ne pense pas à « Collateral » où il m’a littéralement bluffé mais plutôt au médiocre « Le dernier samouraï » ou « M-I : 2). Cet homme est tout simplement bouleversant dans le rôle, au début du film d’un pleutre pathétique, à la limite de l’emmerdant de base et qui au fur et à mesure se modifie constamment comme s’il était aussi malléable que de la pâte à modeler dans les mains qui l’a emprisonné pendant 15ans. Il est capable de passer en une fraction de seconde de l’alcoolique de base au fou furieux sujet aux hallucinations déliroïdes dues à un isolement prolongé, de l’amoureux transi au revanchard têtu prêt à tout sacrifier….tout ce don culmine lors de la scène fracassante du film, à une demi heure de la fin, lors de l’ultime confrontation entre lui et sa victime. Je ne vous en dirai pas plus de peur de trahir le secret mais sachez qu’il s’agit là du plus grand monologue (en terme d’intensité de jeu), du plus investi des plaidoyers pour la pitié auquel j’ai assisté. Là, son jeu atteint le divin !!. Et puis, vous connaissez beaucoup d’acteurs capables d’avaler un poulpe vivant entier devant la caméra ????? (A titre d’info, il a fallu 4 prises, donc 4 poulpes !).

Mais avoir de la considération pour ce film uniquement pour ce qui a été dit serait le rabaisser au rang de film purement provocateur. Ce film est aussi un chef d’œuvre car il bénéficie d’une mise en scène magistrale, au même titre que les films précédemment cités. Entre cadrage audacieux, mouvements de caméra virtuose, décors spectaculaires de menace sous jacente, le réalisateur se permet même un plan séquence de plusieurs minutes ou le héros affronte une quinzaine d’adversaire dans un couloir. Ce plan est d’ailleurs à l’image du film car il se permet des allers retour, des chutes de rythme (justifiées…) et des moments d’une fulgurance folle.
La musique joue un rôle important, parallèle à la mise en scène, opposé au scénario. Je m’explique. Souvent quand l’action s’accélère, la réalisation devient beaucoup plus appliquée, presque linéaire par rapport aux moments plus calmes. J’en veux pour preuve non seulement le fameux plan séquence mais aussi le discours final…..Ces moments sont pour la plupart d’une violence inouïe exacerbée par une musique….guillerette dans la plupart des cas alors que dans les moments de bonheur ou d’insouciance du héros, une musique sourde habite l’environnement sonore pour bien montrer qu’une menace omnisciente existe.

Personnages et sentiments ne sont pas en reste. Chacun des trois a le droit à un développement en parfaite adéquation de ce qu’on doit savoir de lui. Je ne reviendrai pas sur l’acteur principal, j’ai déjà dit beaucoup de chose sur lui et j’aurai peur de tomber dans la redondance. Mais il faut savoir qu’on peut très facilement s’apparenter à lui pour ses défauts (têtu, lâche, du moins au début, qui parle beaucoup trop, impossible pour lui de garder un secret) et que c’est pour cela je pense qu’on s’y attache. Ses performances physiques s’apparentent à celle de Robert DeNiro dans « Raging Bull » : apprentissage du combat de rue (Boxe), prise de poids de 15kg….. L’actrice, elle, incarne à la perfection la douceur féminine, la naïveté et la légèreté mais aussi tout l’amour qu’elle éprouve pour ce mystérieux Ho Dae-Su. Certaines scènes où elle joue seule sont à vous transpercer le cœur. Pour ceux qui ont vu le film, je vous citerai une des scènes finales où elle porte des ailes d’ange qu’elle s’amuse à faire bouger. Toute sa grâce nous fait oublier le cliché habituel des films asiatique où la femme est hystérique souvent un petit peu niaise. La force de son jeu donne du ressort à l’histoire d’amour. Le ‘méchant’ quant à lui est impeccable de sobriété sadique et morbide. Sa classe, son charme (on dirait un golden boy), son talent font que le sentiment de dégoût qui en découle est en plus paradoxal. Mais le scénario fait qu’on ne peut lui en vouloir. Le départ de sa folie (la rumeur) nous a tous mis en fois dans notre vie dans un sentiment de rage incontrôlable dés qu’elle nous touche personnellement et son intelligence, sa volonté forte même au bout de quinze ans font qu’on ne peut détester cet homme. Les coréens ont du être encore plus choqués par l’interprétation de ce brillant acteur car il est visiblement une star dans son pays, connu principalement pour des comédies romantiques. Les seconds rôles ne sont pas en reste en permettent de créer un ensemble homogène dans le film tout en apportant une originalité qui leurs sont propres.

Si le scénario est volontairement glauque, il n’en est pas moins très bien construit allant crescendo au fur et à mesure que le héros croit approcher du but et surtout il brasse des thèmes qui habitent nos sociétés actuelles que ce soit de la violence, du regard que l’on porte sur l’autre, des difficultés relationnelles avec autrui, l’amour, la solitude, la volonté de diriger la vie d’autrui….chacun reconnaîtra une part de soi même au travers des 3 personnages principaux. Je dirai que ce film dévoile en fait tous nos fantasmes de violence tant les séances de bagarre et de tortures sont multiples et variés. Qui n’a pas eu envie un jour de se battre à coups de marteaux, d’arracher une par une les dents de son pire ennemi à l’aide d’un pied de biche…. Les séquences d’automutilation sont aussi terribles à commencer par la pourtant fort sage séquence d’auto tatouage….Pour l’autre….je me tairai, à vous de la découvrir.

Pour moi, ce film est aussi sadique que « la pianiste », violent qu’ « Orange mécanique » l’a été en son temps, vengeur qu’ « Irréversible ». C’est aussi une œuvre à la réalisation aussi magistrale que « Fight club », au scénario aussi manipulateur pour le spectateur que « The game » à aussi glacialement classe qu’Anthony Hopkins dans « Le silence des agneaux et au héros dont l’acteur est aussi possédé par son rôle que Jack Nicholson dans « Shining »…. Un film que n’aurait pas renié Stanley Kubrick je pense, une merveille noire du 7ème art à ne pas mettre entre toutes les mains !. Ceux qui le verront s’en souviendront toute leur vie.

 
Old Boy - Edition ultime limitée / 3 DVD +CD