DVD A LA LOUPE

Résumé : Parce qu'il existe un code ancestral qui veut que le sang appelle le sang, Tonho est aujourd'hui dans l'obligation de tuer un homme d'une famille rivale qui avait auparavant tué son frère aîné. Parce qu'il existe un code ancestral de la vengeance, il ne restera plus à Tonho qu'une vingtaine de jours à vivre une fois cet acte accompli...jusqu'au jour où passera cette jeune et belle artiste de cirque...

Avis : Walter Salles, cinéaste inspiré du très esthétique Central do Brasil et du plus récent Carnets de route nous offre avec ce film une parabole sur la futilité de la violence. Son histoire décrit une rivalité entre deux familles, les Breves et les Ferreira dans l'arrière-pays brésilien du début du 20ème siècle. Les sources de cette haine mutuelle se perdent dans l'Histoire mais le rituel de l'assassinat a su perdurer à travers les âges, avec une règle immuable : quand le fils d'une famille est tué, alors est instituée une trève avant que la victime ne puisse être vengée : sa chemise est étendue sur un fil au soleil pour flotter au vent et quand le rouge sang des blessures devient jaune, la famille de la victime peut alors envoyer son prochain fils venger son honneur en tuant l'aîné de la famille rivale.
C'est donc aujourd'hui à Tonho de venger son frère et après les obsèques, Tonho disposera de 20 jours de répit. 20 jours d'une intensité et d'une force sans commune mesure avec les 20 ans qu'il vient de passer aux côtés de ses parents à travailler tous les jours.

La première partie du film permet au réalisateur de poser avec talent le caractère de ses différents personnages : le père et la mère Breves, tout d'abord, parents difficiles mais travailleurs et pour qui le décès d'un fils, plus qu'une sourde douleur, est une occasion de montrer leur respect des règles de l'honneur. Tonho, dernier fils de cette famille en âge d'assurer la survivance de ces règles et qui se trouve à la croisée des chemins, tiraillé qu'il est entre l'obligation familiale et le désir personnel. Et puis, il y a "le môme", le jeune frère de Tonho, rayon de soleil dans cette famille parce qu'il ne sait pas garder ses sentiments, parce que son amour fraternel est tout ce qui lui reste, parce qu'il jette un oeil espiègle et craintif sur la stupidité de cette vie qui voudrait que la mort soit programmée alors qu'elle n'est pas voulue. Assez intelligemment Walter Salles accentue la bêtise de ces traditions en ne nommant pas ses personnages. Le spectateur ne connaît que l'identité du frère aîné, les parents se faisant appeler Père et Mère : pourquoi effectivement donner un nom à des enfants dont vous savez qu'ils seront un jour ou l'autre tués par vos voisins ?

A la faveur d'une rencontre avec un duo de cirque, dont la belle Clara, le môme va s'employer à persuader son frère qu'il ne doit pas nécessairement mourir. Que la vie c'est autre chose que d'attendre avec résignation un coup de fusil qui claquera d'on ne sait où, que la vie c'est avant tout choisir de vivre. Cette seconde partie du film est traitée avec délicatesse par le réalisateur. La cristallisation amoureuse entre Tonho et Clara est magnifiquement mise en scène (scène magique de la corde où Clara tournoie au-dessus de Tonho) et le spectateur attentif comprendra aisément le sort que la vie réserve au jeune Breves. Ce sort qui sera scellé par une nuit où l'orage grondera. De même que l'eau du ciel viendra sauver cette terre, Clara, symbole de liberté, viendra sauver Tonho en lui offrant sa couche, en lui permettant d'entrevoir un autre avenir que la mort au détour d'un chemin. Mais hélas, dans cette province aride du Brésil, une chemise a séché quelque part sur un fil; et même si celle-ci n'est pas encore tâchée de jaune, un jeune garçon a décidé de se venger, un jeune garçon a décidé de perpétuer la tradition. L'unité de temps de lieu et d'espace doit être respectée pour cette tragédie moderne et le rire d'un gamin sur une route boueuse du Nordeste brésilien par une nuit de pleine lune ne saurait contrer l'intangibilité du malheur.

Avril Brisé est cependant une magnifique leçon d'amour et de vie : Walter Salles utilise sa caméra pour faire des cadres d'une grande beauté (merveilleux paysages de l'état brésilien de Bahia), remplis d'imagerie poétique qui donnent encore plus de profondeur au récit. Des plans décrivant la pénibilité du travail de ces paysans aux plans d'intérieur qui sont un hommage parfait aux règles du clair obscur, tout concourt à ce que le réalisateur, en marge de son scénario s'attache surtout à poser une athmosphère, lourde et sèche, un peu à la manière de la fatalité qui accable ses personnages.
L'interprétation du film, comme dans la plupart des films de Salles, a été confiée à des comédiens professionnels et amateurs. Il s'en dégage une justesse et une sensibilité à fleur de peau qui donnent encore plus de profondeur aux héros de cette tragédie, les rendant à la fois plus humains et plus fragiles. Avril Brisé est donc le reflet d'un certain cinéma qui se veut émouvant et intelligent, d'un certain cinéma simple et sans artifices comme on aimerait en voir plus souvent.

 
Avril brisé