DVD A LA LOUPE

Résumé : En pleine nuit, dans un poste de garde nord-coréen situé dans la zone de sécurité séparant les deux Corée, éclate une fusillade. Deux soldats sont retrouvés morts mais les circonstances du drame restent mystérieuses. Le sergent Suisse Sophie E. Jean est chargée de mener l’enquête sur ces meurtres qui impliquent Coréens du Nord et du Sud, tout en évitant un incident diplomatique. Alors que les contradictions entre les différents témoignages annoncent une enquête longue et difficile, les relations entre les deux camps se dégradent et font craindre l’explosion d’un conflit.

Avis : Oubliez la vision de la zone démilitarisée (DMZ) de Corée entre-aperçue dans le dernier James Bon « demain ne meurs jamais », oubliez ce no man’s land boueux, véritable zone de non droit ou s’effectue des trafiques en tout genre, oubliez cet archétype hollywoodien et intéressez-vous plutôt à cette merveille de film, réalisé par quelqu’un de bien plus concerné que Lee Tamahori réalisateur du Bond en question. Chan-Woo Park (réalisateur) est, comme tout le reste de l’équipe du film, coréen du sud et, comme ils s’attacheront à le répéter dans pratiquement tous les bonus de cette prestigieuse édition, leur enfance a été bercée (imbibée serait peut être un mot plus adéquat) de propos et de préjugés anticommunistes (donc coréen du Nord) : ceux du Nord ne pensent qu’à nous envahir, ils sont maigres et affamés car ne mangent rien…

Pourtant, et c’est là le mérite et tout le talent de l’équipe (je parle du réalisateur, des acteurs, des scénaristes mais, une fois n’est pas coutume, je tiens à féliciter les producteurs pour leur courage d’avoir financé ce film)….ils ont fait un film le plus impartial possible. Jamais le film ne prend parti pour l’un ou l’autre camp, les opinions de chacun sont exprimées à valeur égale, tout préjugé est banni (les soldat du nord ont le même physique que ceux du sud)… D’autre part (chose impensable il y a à peine dix ans en arrière sous peine d’arrestation), le film montre des soldats du sud transgressant toute mesure martiale pour aller « copiner » avec une équipe du nord. N’imaginez cependant pas que ce film soit un compte de fée où tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Il n’hésite pas à s’arrêter sur les comportements conditionnés donc imbéciles de l’un ou de l’autre camps (autre chose impensable il y a quelques temps) : le soldat du sud qui s’arrête à la ligne symbolisant la frontière, l’aberration des mesures prises par les partis si cette ligne est franchie….tout cela est mis en abîme par la camaraderie qui se forme entre ces « couples » de gardiens de postes frontières gardant les extrémités du pont : ils risquent leur vie en traversant un pont de 100m de long , tout ça pour partager un moment de détente et se faire découvrir leurs cultures mutuelles.
Ce coté ridicule des mesures qu’ils encourent est majoré par le fait que ni l’un ni l’autre ne fait ça par intérêt (pour espionner, pour chercher à fuir son gouvernement) mais simplement partager une relation comme vous ou moi pouvons faire avec nos propres amis. En publique, ils détourneront les attitudes menaçantes qu’ils doivent exercer les uns envers les autres ce qui provoquera les quelques moments comiques (la scène des rachats), témoins de leur relation mais qui seront très vite rattrapés par le drame que cela occasionnera : le décès de plusieurs d’entre eux et quasiment un début de conflit entre les deux camps q’ils rêvaient de réunifier.
Cette amitié est superbement mise en scène avec des moments d’une rare légèreté (les « combats à cloche pied, les envois de cigarette d’un coté du pont à l’autre les morceaux de musique écoutés dans la cave du poste frontière…), avec une caméra en apesanteur rendant presque irréels ces passages et des morceaux de musique transcendant l’atmosphère.

Ces moments détendus sont d’autant plus appréciés qu’ils interviennent entre des périodes beaucoup plus tendus (suicide, interrogatoire, combat….) où tout revient à la réalité, dure presque insoutenable. Ne croyez pas non plus qu’il s’agisse purement et simplement d’un film de guerre. Si les séquences d’affrontements sont très bien filmées, avec des champs/ contre champs d’une redoutable efficacité, elles restent relativement rare. Nous beaucoup plus proche du drame humain que de l’épopée guerrière.
A propos de mise en scène, on trouve dans ce film les prémices du prochain film du réalisateur « sympathy for Mr Vengeance » avec une caméra tourbillonnant doucement dans les moments durs, rendant encore plus difficiles ces scènes. (La magnifique envolé de la caméra au dessus du corps du soldat du sud après son suicide). Là où Chan-Woo Park excelle, ce sont les moments de silence et les très gros plans sur les yeux ou la bouche des comédiens, à l’instar de Sergio Léone.

Les moments de dialogue (surtout l’enquête au début du film) ne sont pas les moments les plus intéressants mais dés que l’action s’installe et les relations humaines sont plus sous entendues par les regards, tout prend une dimension quasi onirique. Ajoutez à cela des effets de mise en scène et une photographie magnifiques (les effets de bourrasques quasi silencieuses sur les roseaux lors de la scène de la mine), et vous obtenez un chef d’œuvre sur tous les aspects, d’autant que l’interprétation est quasi sans faille. Je regrette un peu le personnage de l’enquêtrice mais le réalisateur explique qu’il l’avait volontairement mise en retrait pour centrer l’histoire sur les 4 soldats. Autre point commun avec « sympathy for Mr vengeance » hormis l’acteur Song Kang-Ho, ce sont les flash-back, très déroutants au début du film mais qui au fur et à mesure que l’histoire progresse devienne cohérent et on se prend à les trouver justifiés à la manière d’un Tarantino. Ils servent le scénario et ne sont en aucun cas un moyen de combler ses faiblesses. L’intrigue est vraiment ciselée et il est impossible de trouver la moindre incohérence. Chan-Woo Park est véritablement un orfèvre, à ranger aux côtés des plus grands maîtres (Woo, Scorcese, DePalma, Besson…) et je suis impatient de voir son dernier film Old Boy qui aurait du être primé à Cannes (à une voix près je crois). En conclusion, ce film, d’une beauté formelle incontestable restera donc un des plus grands films sur l’amitié brisée par la guerre aux cotés de « une balle dans la tête » de John Woo

 
JSA : Joint Security Area / 2 DVD